En 1945, les crimes contre l’humanité constituaient l’une des trois catégories de crimes prévues à la Charte de Nuremberg, en vertu de laquelle les Alliés créaient le Tribunal militaire international de Nuremberg. Depuis, ces crimes n’ont cependant jamais fait l’objet d’une convention internationale autonome, contrairement au génocide (1948) et aux crimes de guerre (1949). Or, il existe depuis deux ans un projet de convention élaboré par la Commission du droit international sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité.
Ce projet découle de plusieurs constats. D’abord, environ la moitié des États ne se sont pas dotés d’un cadre juridique national en lien avec les crimes contre l’humanité. Même les États ayant ratifié le Statut de Rome en sont souvent dépourvus, ce dernier n’imposant pas explicitement une obligation de mettre en œuvre des mesures allant en ce sens. De plus, les inadéquations sont fréquentes entre la législation interne des États qui disposent d’un cadre juridique relatif aux crimes contre l’humanité et les normes de droit international. Enfin, plusieurs des États qui disposent de mesures relatives aux crimes contre l’humanité n’ont juridiction que si le crime a été perpétré sur leur territoire ou encore par l’un de leurs ressortissants, ce qui limite considérablement leur pouvoir d’action effectif.
C’est dans ce contexte que Sean Murphy a réalisé en 2015 son premier rapport, qui contient des propositions d’articles d’une éventuelle convention sur la prévention et la répression de crimes contre l’humanité. Des articles supplémentaires ont par la suite été proposés dans ses deux rapports subséquents en 2016 et en 2017, si bien que le projet de convention a atteint une forme assez achevée, comprenant présentement quinze articles et une annexe. Le texte final devrait être présenté à l’Assemblée générale des Nations Unies en 2019, dans le but d’être transformé en convention pouvant être signée et ratifiée par les États.
L’établissement d’une telle convention sur la prévention et la répression de crimes contre l’humanité vise ultimement à améliorer la cohérence du droit international pénal, un but qui a été unanimement salué par les panélistes et les intervenants lors de cet événement. Ce n’est toutefois pas le seul objectif recherché par les promoteurs du projet. En effet, même le Statut de Rome impose aux États une obligation de coopération avec la CPI, la convention comblerait un vide en imposant également une obligation de coopération des États entre eux. De plus, cette convention permettrait de renforcer le principe de complémentarité en créant une capacité juridique accrue des États à l’échelle nationale. Enfin, la ratification de la convention projetée étant sans préjudice de la ratification du Statut, un État non membre au Statut de Rome pourrait donc la ratifier.
Lundi dernier, 11 décembre 2017, le projet de convention était l’objet d’un événement organisé en marge de la 16e Assemblée des États parties (AÉP) à la Cour pénale internationale (CPI) par le Whitney R. Harris World Law Institute de la Washington University School of Law avec le soutien de plusieurs États parties. À cette occasion, le panel d’experts, constitué de Charles Jalloh, Claus Kress, Solomon Sacco, Leila Nadya Sadat, du juge O-Gon Kwon et du modérateur Sean Murphy, rapporteur spécial des Nations Unies sur les crimes contre l’humanité, a dressé un portrait sommaire des situations dans lesquelles la convention aurait pu ou pourrait être un outil de prévention pertinent avant d’en aborder le contenu en détail.
Lors de l’événement, le contenu actuel du projet de convention a été plutôt bien accueilli par les panélistes et les intervenants. L’accent mis sur la prévention des crimes contre l’humanité et non seulement sur l’engagement de poursuites relativement à ceux-ci a été perçu positivement, de même que la protection des droits des victimes et des témoins (articles 11 et 12) ainsi que les provisions concernant une coopération effective et une assistance mutuelle des États (articles 13 et 14). Le juge O-Gon Kwon, particulièrement, a apprécié le choix de consacrer le principe aut dedere aut judicare plutôt que d’établir une juridiction universelle pour les États.
Le projet n’est cependant pas exempt de critique. D’abord, il existe une certaine controverse entourait la définition retenue pour les crimes contre l’humanité. Cette dernière, énoncée à l’article 3 du projet de convention, reprend la définition de l’article 7 du Statut de Rome. Bien que ce choix favorise la ratification de la convention par un grand nombre d’États, certains panélistes (notamment la professeure Sadat) auraient souhaité voir dans ce projet un élargissement de la définition du Statut de Rome ou encore une intégration d’une clause comparable à la clause de Martens, qui aurait permis d’incorporer de nouveaux crimes contre l’humanité basés sur le droit international coutumier. Le projet de convention a également été critiqué pour son défaut d’aborder la question de l’immunité des hauts fonctionnaires. Enfin, des membres de l’organisation Parliamentarians for Global Action sont intervenus pour exprimer leurs inquiétudes quant à la possibilité que cette éventuelle convention ne dilue le contenu des normes de droit international coutumier, bien que telle ne soit pas l’intention des auteurs.
En somme, en dépit des critiques dont il fait l’objet, le projet de Convention constitue, de l’avis général, un apport positif au droit international pénal, dont il contribuera à augmenter la cohérence. Il sera intéressant de rester à l’affût des développements ultérieurs de ce projet, et particulièrement d’évaluer si, advenant une adoption du texte par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2019, la définition retenue des crimes contre l’humanité dans le but de favoriser la ratification par un nombre important d’États aura l’effet escompté.
La publication de ce billet et ma participation à la 16e Assemblée des États Parties dans le cadre du Partenariat canadien pour la justice internationale ont été financées par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.
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