Le même DIH s’applique à toutes les parties au conflit : différencier le jus contra bellum (le droit interdisant le recours à la force entre États) et le jus in bello (le droit limitant les effets de la guerre)
Légende : Le « Bangladesh Institute of Peace Support Operation Training (BIPSOT) », exercice de simulation, Bangladesh. Les soldats de la paix prennent position autour d’un camp de déplacés internes attaqués par des rebelles. 16ème Conférence annuelle de l’association internationale des soldats de la paix.
Ce billet est la version française du « Highlight » publié simultanément par le Comité international de la Croix-Rouge et dont la version originale se trouve ici, il n’est pas le fruit du travail de la personne mentionnée qui en est le traducteur.
En droit international public, comment l’interdiction de l’usage de la force entre États (jus contra bellum) interagit avec le droit international humanitaire (DIH), aussi connu sous le nom de droit des conflits armés (jus in bello)? Quels objectifs sont poursuivis par chacun de ces corpus juridiques ? Pourquoi leur application respective devrait être strictement séparée ? Toutes ces questions s’attaquent à un élément clé du droit international : la distinction absolue entre l’usage de la force en droit international public (jus ad bellum, qui a évolué en jus contra bellum – voir plus bas) et le droit international humanitaire (jus in bello). En effet, il s’agit de deux corpus juridiques indépendants, dont les règles ne sont pas supposées se mélanger : alors que le jus contra bellum régit les règles relatives à la licéité du recours à la force par les États, le jus in bello met en place des règles humanitaires qui doivent être respectées en temps de guerre. Ce « highlight » va présenter les principaux aspects de chacun de ces corpus juridiques, pourquoi et comment leur application respective est et doit rester strictement séparée, ainsi que les principales conséquences de cette distinction.
Du jus ad bellum au jus contra bellum
Il fut une époque où il n’était pas interdit pour les États de recourir à la force armée pour régler des différends, leur jus ad bellum (à savoir le droit au recours à la force armée) était reconnu. Cependant, le droit international a évolué jusqu’à un point où il est actuellement interdit, en vertu de l’article 2(4) de la Charte des NU, de recourir à une telle force. Cette disposition a établi une interdiction pour les États de recourir à la menace ou à l'emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’autres États. Cette obligation a été cristallisée comme une norme impérative du droit international interdisant aux États le recours à la force. Ainsi, le jus ad bellum est devenu le jus contra bellum (à savoir le droit interdisant la guerre). Cependant, il existe au moins deux exceptions à cette interdiction. Premièrement, la Charte des NU autorise l’usage de la force dans le cadre de l’exercice par un État de son droit à la légitime défense, individuelle ou collective (Charte des NU, art. 51). Deuxièmement, elle autorise l’usage de la force dans les cas de mesures collectives de sécurité adoptées par le Conseil de sécurité des Nations Unies (Charte des NU, chapitre VII). De plus, le droit des peuples à l’auto-détermination a aussi été interprété comme une possible exception à l’interdiction de l’usage de la force (AGNU Résolution 2105 (XX) du 20 décembre 1965 ; PIDCP, art. 1 ; PIDESC, art. 1). En résumé, le jus contra bellum cherche à clairement interdire le recours à la force dans les relations entre États et à en réguler strictement les exceptions, en nommant les raisons ou les justifications en vertu desquelles les États peuvent exceptionnellement recourir à la force contre d’autres États en droit international. Théoriquement, dans presque tous les cas, le recours à la force ne peut être justifié que pour l’un des camps dans un conflit armé international, en vertu de l’une de ces exceptions. Ainsi, pratiquement aucun conflit armé international ne pourrait exister (et le DIH applicable aux conflits armés internationaux ne s’appliquerait jamais) si le jus contra bellum était respecté.
À propos du jus in bello
Basé sur le fait que, dans la pratique, les conflits armés internationaux existent toujours, le jus in bello est un autre corpus de droit international qui cherche à réguler les effets de la guerre en limitant les destructions matérielles et la souffrance humaine. Il établit des standards humanitaires qui doivent être respectés dans tous les conflits armés. Ce corpus juridique est aussi connu sous le nom de droit international humanitaire (DIH) ou droit des conflits armés. Il cherche à limiter les effets de la guerre à travers des obligations protégeant les personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités, ainsi que des limitations ou des interdictions sur les moyens et méthodes de guerre. Au contraire du jus contra bellum, le jus in bello ne s’intéresse pas à la question de savoir si le conflit armé devrait être considéré ou non comme illicite. Il va s’appliquer et déployer ses règles protectrices dans tous les cas, à partir du moment où la situation peut être qualifiée de conflit armé (qu’il soit international ou non international), en se basant sur ses propres critères objectifs et en se référant aux faits observables sur le terrain. Dans de tels cas, le jus in bello va alors mettre en place des règles humanitaires auxquelles les parties au conflit armé devront absolument se conformer, indépendamment de savoir si le recours à la force qui a déclenché le conflit armé a été estimé licite ou non au regard du jus contra bellum (voir les commentaires mis à jour de 2020 de la CG III, art. 2, par. 248, en anglais seulement au moment de la rédaction de ce « highlight »).
Pourquoi le jus contra bellum et le jus in bello sont – et doivent rester – distincts l’un de l’autre
Il existe au moins trois raisons importantes expliquant pourquoi maintenir une distinction claire entre le jus contra bellum et le jus in bello est aussi crucial (voir par exemple Tribunal militaire des États-Unis à Nuremberg, Le Justice Trial, aux pp. 1496-1497 du PDF).
Premièrement, appliquer les règles de DIH après la violation des règles interdisant le recours à la force est un enchainement logique. En effet, les règles de DIH applicables aux conflits armés internationaux s’appliquent à des situations où les règles du jus contra bellum ont théoriquement été violées en premier. Ces règles de DIH visent donc à fournir un « filet de sécurité » aux personnes affectées par les conflits armés.
Deuxièmement, en prenant en considération les raisons humanitaires, les personnes affectées par les conflits armés ne sont pas responsables des violations du jus contra bellum commises par les États : en pratique, n’importe quelle personne affectée par un conflit armé a droit à une protection, indépendamment de savoir si elle est ressortissante d’un État qui a respecté le jus contra bellum ou d’un État qui l’a violé. Dans le cas contraire, de telles personnes seraient privées arbitrairement des protections du DIH auxquelles elles ont droit (voir les commentaires mis à jour de 2020 de la CG III, art. 2, par. 249, en anglais seulement au moment de la rédaction de ce « highlight »).
Troisièmement, d’un point de vue pratique, les États impliqués dans un conflit armé international ne sont jamais d’accord sur qui est « l’agresseur » (c’est-à-dire l’État ayant violé le jus contra bellum). Ainsi, plus la situation est polarisée, plus le jus in bello a des chances d’être respecté par les parties à un conflit armé si la question de son application reste complètement séparée de celle de la violation du jus contra bellum. En effet, en vertu de l’article 1 commun aux quatre Convention de Genève de 1949, toutes les parties sont tenues de respecter les mêmes règles du jus in bello qui limitent les effets de la guerre.
Conséquences de la distinction
La distinction absolue entre le jus contra bellum et le jus in bello génère d’importantes conséquences.
En effet, la règle fondamentale de l’égalité des belligérants en DIH découle également de cette distinction. En vertu de cette règle, les parties aux conflits armés sont considérées comme égales et doivent respecter les mêmes obligations et bénéficient des mêmes droits en matière de jus in bello.
Aussi, comme vu plus haut, le jus in bello va s’appliquer à des situations qualifiées de conflits armés en vertu de ses propres règles, en se basant sur les circonstances qui prévalent sur le terrain, et indépendamment de comment le recours à la force a été qualifié en vertu du jus contra bellum. Dans de telles situations, le DIH va alors s’appliquer à toute opération militaire menée dans le contexte de tels conflits armés.
De plus, les arguments issus du jus contra bellum ne peuvent jamais être utilisés pour interpréter le jus in bello. Par exemple, les exceptions à l’interdiction de l’usage de la force entre États ne peuvent déroger qu’à l’interdiction générale de l’usage de la force en jus contra bellum, mais elles ne pourront jamais être utilisées pour interpréter des règles du jus in bello par les parties aux conflits armés ou justifier leur violation.
À l’inverse, alors que le jus contra bellum ne peut pas être interprété ou appliqué pour justifier que les États violent le jus in bello, ce dernier ne peut pas empêcher l’application du jus contra bellum.
En résumé, ces deux corpus juridiques peuvent s’appliquer de façon concomitante à travers leurs propres règles qui sont distinctes, mais ils ne peuvent jamais influencer l’application de l’un ou de l’autre. Cette séparation doit être strictement maintenue, recevoir une adhésion générale, et être largement partagée : ce n’est que de cette manière que l’humanité conservera une chance d’être préservée dans les conflits armés.
Le droit
Plus de détails, de développements et d’explications peuvent être trouvé dans « Le droit » (en anglais seulement). Pour la distinction fondamentale entre le jus contra bellum et le jus in bello, vous pouvez vous référer au chapitre « Distinction fondamentale en Jus ad Bellum (légalité du recours à la force) et jus in belle (règles humanitaires à respecter en cas de guerre) » (aux pp. 32-40 du PDF). Pour le système de sécurité collective de la Charte des NU (une des exceptions à l’interdiction de l’usage de la force), vous pouvez vous référer à la section VIII (« L’organisation des Nations Unies », aux pp. 340-354 du PDF) dans le chapitre sur « La mise en œuvre du droit international humanitaire ».
La pratique
Une sélection d’études de cas pertinents tirés de The Practice (La pratique) illustrent plus en détail :
L’interdiction de l’usage de la force et ses exceptions
- Commission du droit international, Articles sur la responsabilité des États (aux pp. 1113-1141 du PDF), voir : Partie A, Art. 21, Art. 25 et les commentaires
- Iraq/Syria/UK, Drone Operations against ISIS (en anglais seulement)
- U.S., Lethal Operations against Al-Qa’ida Leaders (en anglais seulement)
La séparation complète entre le jus contra bellum et le jus in bello
- Colombie, Constitutionnalité du Protocole II (aux pp. 938-956 du PDF)
- République fédérale de Yougoslavie, Intervention de l’OTAN (aux pp. 555-575 du PDF)
- CIJ, Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (aux pp. 843-872 du PDF), voir : le jugement, au para 345(1) ; L’opinion séparée, aux paras. 55-63.
- CIJ, Nicaragua c. États-Unis d’Amérique (aux pp. 2199-2209 du PDF), voir : paras. 243-243 et question 8.a.
- CIJ, Avis consultatif sur les armes nucléaires (aux pp. 1266-1284 du PDF), voir : paras. 30, 39, 43, 96, 97 et 105.
- Iran, Victim of Cyber warfare (en anglais seulement)
- ONU, Forces de l’ONU en Somalie (aux pp. 38-42 du PDF)
- Tribunal militaire des États-Unis à Nuremberg, Le Justice Trial (aux pp. 1496-1497 du PDF)
- Tribunal militaire des États-Unis à Nuremberg, les États-Unis c. Wilhelm List (aux pp. 1515-1521 du PDF)
- Yemen, Potential Existence and Effects of Naval Blockade (en anglais seulement)
Les autres questions autour du jus contra bellum
- African Commission on Human and Peoples’ Rights, Human Rights in Conflict Situations in Africa sur la relation avec le droit international des droits humains (en anglais seulement)
A à Z (en anglais seulement)
- Application
- Égalité des belligérents
- Ius ad bellum, ius in bello
- Ius cogens
- Usage de la force
- Opérations de paix
- Nécessité militaire
- Réciprocité
- Légitime défense
Matériel pédagogique (en anglais seulement)
- Le guide du droit international humanitaire – GP Sangroula (voir #3 Les liens entre le Jus in Bello et le Jus ad Bellum)
- Year-Long, Séminaire interdisciplinaire (Voir 2. Programme pour le premier semestre, rencontres No. 4 et No. 7 ; et 3. Exemples de sujets de recherche, questions 10 et 11)
- Programmes suggérés pour les séminaires (Voir B. Séminaire sur les règles substantives du droit international humanitaire ; 1. Programme/Rencontre No. 1 et 3. Liste des sujets de recherche proposés/Question 1)
Pour aller plus loin
- Charte des Nations Unies (version intégrale)
- CICR – Jus ad bellum et jus in bello
- CICR – Rapport de 2019 sur le droit international humanitaire et les défis posés par les conflits armés contemporains (voir page 35)
- CICR – Rapport de 2015 sur le droit international humanitaire et les défis posés par les conflits armés contemporains (voir pages 18-21 et 28)
- CICR – Rapport de 2011 sur le droit international humanitaire et les défis posés par les conflits armés contemporains (voir page 26)
- RICR – Classification des conflits : le dilemme du soldat (aussi disponible en anglais, en espagnol et en russe)
- RICR – Le jus ad bellum peut-il l’emporter sur le jus in bello ? Réaffirmer la séparation de ces deux branches du droit (aussi disponible en espagnol et en anglais)
- RICR – L’application juste des lois de la guerre : un principe mis à rude épreuve (aussi disponible en anglais, en espagnol et en chinois)
- YIHL – Jus ad bellum, ius in bello et conflits armés non internationaux
- JIB/JAB – The laws of war podcast (en anglais seulement)
Ce billet est la version française du « Highlight » publié simultanément par le Comité international de la Croix-Rouge et dont la version originale se trouve ici, il n’est pas le fruit du travail de la personne mentionnée qui en est le traducteur.
Ce billet ne lie que la ou les personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de Osons le DIH!, de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale et les droits fondamentaux, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.
La publication de ce billet est en partie financée par Osons le DIH! et le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.