Ce billet est la version française du « Highlight » publié simultanément par le Comité international de la Croix-Rouge et dont la version originale se trouve ici. La personne mentionnée en est la traductrice.
En quoi la répression pénale est-elle indispensable pour faire face aux violations du droit international humanitaire (DIH) ? Comment cette obligation découlant des principaux traités de DIH se matérialise-t-elle dans le droit national et international ? Ces questions sont au cœur de la mise en œuvre du DIH. Les enquêtes, les poursuites et le jugement de ces violations font plus que répondre aux atrocités passées—ils renforcent l’aspect préventif et la crédibilité du DIH en dissuadant de potentielles futures violations. Grâce à la compétence universelle et à la collaboration entre les mécanismes nationaux et internationaux, la répression pénale reste un outil puissant contre l’impunité. Ce « highlight » présente aux lecteurs et aux lectrices la portée, les principes et la mise en œuvre de l’obligation de répression pénale en vertu du DIH. Il fournit également aux lecteurs et aux lectrices des ressources supplémentaires tirées de How Does Law Protect in War? et d’autres documents pour approfondir cette question cruciale.
Définitions et Sources
Il convient tout d’abord de clarifier ce qui distingue les infractions graves, les crimes de guerre et les violations du DIH. Ces termes reflètent essentiellement une gradation de la gravité, dans la mesure où toutes les violations du DIH ne sont pas graves et où toutes les violations ne constituent pas des crimes de guerre. Conformément à la règle 156 de l’étude du CICR sur le droit international coutumier, les violations graves du DIH constituent des crimes de guerre, mais toutes les violations n’atteignent pas ce seuil. Les violations sont considérées comme graves, et donc comme des crimes de guerre, lorsqu’elles mettent en danger des personnes protégées, telles que des civils, des prisonniers de guerre, des blessés et des malades, ou des biens protégés, ou lorsqu’elles portent atteinte à des valeurs importantes. Les crimes de guerre constituent une catégorie de crimes internationaux, au même titre que le génocide, les crimes contre l’humanité et le crime d’agression. Les infractions graves sont une sous-catégorie de crimes de guerre.
Il est important de noter que, si les règles de DIH applicables aux conflits armés internationaux et non internationaux demeurent à certains égards différentes, les violations graves des règles de DIH qui s’appliquent également aux conflits armés non internationaux constituent des crimes de guerre en vertu du droit coutumier. La commission d’un crime de guerre engendre la responsabilité pénale individuelle, prérequis à la répression de tels actes.
L’obligation de réprimer les crimes de guerre et de mettre fin aux autres violations du DIH est expressément codifiée dans des instruments juridiques clés, tels que les quatre Conventions de Genève de 1949 (articles 49, 50, 129 et 146 respectivement). Elle est également consacrée dans la Convention de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé (article 28). En complément de ces dispositions, le Statut de Rome renforce cette obligation dans son préambule. L’obligation d’enquêter sur les crimes de guerre et, le cas échéant, de poursuivre les suspects, a également été identifiée dans l’étude du CICR sur le DIH coutumier (règle 158). Au-delà de la répression pénale, il ne faut pas occulter le fait que les États doivent également mettre fin aux autres violations du DIH. Cette obligation s’étend à un large éventail de mesures, y compris les enquêtes visant à examiner les violations du DIH qui n’entraînent pas nécessairement la mise en œuvre de la responsabilité pénale individuelle.
Champ d’application de la répression pénale
En ce qui concerne les poursuites nationales, les États exercent leur juridiction sur les crimes de guerre en se fondant sur les règles établies par leur législation nationale et généralement admises en droit international. Parmi ces règles figurent celle de la territorialité, qui détermine la compétence en fonction du lieu où le crime a été commis ou a produit ses effets, celle de la personnalité active, qui la détermine en fonction de la nationalité de l’auteur supposé du crime, et celle de la personnalité passive, qui la détermine en fonction de la nationalité de la victime. Toutefois, le DIH introduit un fondement supplémentaire et distinct à la compétence : l’universalité. Cette dernière fixe une obligation expressément reconnue dans des instruments juridiques clés, notamment les dispositions susmentionnées des quatre Conventions de Genève de 1949, leur Protocole additionnel I de 1977 (article 85) et la Convention de La Haye de 1954 (article 28) pour les infractions graves. En outre, le DIH coutumier confère aux États le droit de conférer à leurs tribunaux nationaux une compétence universelle pour tous les crimes de guerre (règle 157).
En vertu de la compétence universelle, les violations graves du DIH ne sont pas simplement considérées comme des infractions commises à l’encontre de victimes individuelles ou de communautés spécifiques, mais comme de graves manquements qui affectent la communauté internationale dans son ensemble. La compétence universelle met en évidence que celles et ceux qui commettent de tels manquements sont responsables non seulement à l’égard des États qui peuvent exercer leur juridiction sur ces crimes, mais également devant l’humanité tout entière. Par conséquent, en vertu du DIH conventionnel, tous les États ont l’obligation de juger les crimes de guerre, quel que soit le lieu où ils ont été commis, quelle que soit la nationalité des victimes ou des auteurs supposés de ces crimes. La compétence universelle permet ainsi aux États de lutter contre l’impunité et de faire respecter la justice pour les violations graves du DIH. Pour les infractions graves, ils sont même obligés de le faire.
En outre, le champ d’application temporel de l’obligation de rendre compte de ces crimes est caractérisée par l’imprescriptibilité. Celle-ci est inscrite dans des instruments clés, notamment la Convention des Nations unies de 1968 sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité et la Convention européenne de 1974 sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. Le Statut de Rome codifie également cette règle, en indiquant expressément à l’article 29 que les crimes relevant de la compétence de la Cour sont imprescriptibles. De plus, l’étude du CICR sur le DIH coutumier a identifié cette règle comme étant de nature coutumière (règle 160).
En outre, le DIH est complété par le droit national et mis en œuvre, pour les crimes de guerre, par le droit international pénal, formant ainsi un cadre intégré qui renforce l’obligation de rendre des comptes. Si les juridictions nationales, lorsqu’elles le souhaitent et le peuvent, doivent rester les premières responsables de l’application du DIH, le droit pénal international s’est avéré indispensable pour combler les lacunes là où les systèmes nationaux n’ont pas été en mesure de réprimer les violations du DIH. En créant des institutions telles que le TPIY, le TPIR et la Cour pénale internationale, la communauté internationale a veillé à ce que la responsabilité puisse s’étendre au-delà des systèmes nationaux par le biais du droit international pénal. Ainsi, le DIH établit les obligations fondamentales utiles à la répression des violations, le droit national les rend opérationnelles par le biais du travail des juridictions nationales, et le droit international pénal met en œuvre et clarifie ces obligations et établit des règles pour la poursuite de ces affaires au niveau international. Il convient toutefois de noter que si les progrès de la justice internationale pénale sont remarquables, le DIH fait en sorte que les États conservent leur prérogative et leur obligation d’enquêter et de poursuivre les violations au travers leurs juridictions, lesquelles sont antérieures au Statut de Rome, renforçant ainsi la portée universelle et durable de ces obligations. En effet, les crimes de guerre codifiés dans le Statut de Rome trouvent leur origine dans les règles du DIH, ce qui met en évidence le rôle fondamental du DIH dans l’élaboration du droit international pénal.
La répression pénale : un élément clé de la mise en œuvre du DIH
Bien qu’essentielle à la mise en œuvre du DIH, l’obligation de poursuivre ses violations est aujourd’hui loin d’être appliquée de manière uniforme. Les Conventions de Genève ne donnent pas d’instructions spécifiques quant à la manière dont les États devraient s’acquitter de leur obligation de réprimer ces crimes. Cela a conduit à des degrés divers de réussite, reflétant la complexité de la mise en œuvre et la nécessité d’une compréhension nuancée de ces mécanismes. Néanmoins, la poursuite des violations du DIH devrait, dans la mesure du possible, garantir que la justice est rendue d’une manière compatible avec les procédures et les lignes directrices émanant du DIH. Par ailleurs, l’efficacité des enquêtes et des poursuites relatives à ces crimes dépend dans une large mesure de plusieurs facteurs, tels que la coopération que les États acceptent de fournir aux organes judiciaires nationaux comme internationaux—à tous les stades de la procédure, depuis l’enquête et l’exécution des mandats d’arrêt jusqu’à l’exécution de la peine. Un exemple récent de cette volonté de collaboration est la Convention de Ljubljana-La Haye pour la coopération internationale en matière d’enquête et de poursuite du crime de génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et autres crimes internationaux.
Toutefois, aussi indispensable que soit la répression pénale, elle ne doit pas être considérée séparément des autres dimensions de la mise en œuvre du DIH. En effet, la répression pénale s’accompagne d’un certain nombre d’autres mesures de mise en œuvre des obligations du DIH contenues dans les traités et le droit coutumier. Certaines d’entre elles sont de nature préventive, comme les cadres juridiques nationaux et les mesures nationales qui donnent effet aux obligations du DIH sur le territoire de chaque État, ou l’éducation qui permet de s’attaquer aux causes profondes des violations du DIH, telles que la déshumanisation de l’ennemi. D’autres sont opérationnelles, comme le dialogue confidentiel et bilatéral que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) entretient avec les parties à un conflit armé pour aborder et mettre fin aux violations graves du DIH, ou les services humanitaires que le CICR et d’autres acteurs fournissent aux personnes touchées par de telles violations ou par des actes licites de guerre. En effet, parallèlement à la répression pénale, toutes ces approches ont collectivement pour but de prévenir, de réduire et de réparer les violations graves du DIH et de préserver la dignité des personnes touchées par les conflits armés.
À cet égard, bien que la commission de crimes de guerre mette tragiquement en lumière certains des actes les plus sombres que l’humanité puisse commettre dans un conflit armé, la répression pénale reste un mécanisme essentiel pour contrer et dissuader de tels actes : elle affirme avec force que les crimes de guerre ne sont pas conséquence inéluctable de la guerre, mais des actes répréhensibles qui exigent réparation. Au-delà de l’obligation juridique qu’elle représente, la poursuite des violations du DIH —que ce soit par les juridictions nationales ou internationales— reste un garant essentiel de l’efficacité et de la crédibilité du DIH en tant que « filet de sécurité ultime » pour l’humanité dans les conflits armés.
Les sections suivantes mettent en lumière diverses ressources et outils qui permettent d’approfondir le thème de la répression pénale de diverses manières.
0. Le droit
La répression pénale fournit un aperçu détaillé des différents aspects du sujet, y compris les définitions des crimes, les aspects liés à la participation à ces crimes, les moyens de défense, les poursuites pénales et le rôle des tribunaux pénaux internationaux.
1. La pratique
Les cas pratiques suivants explorent diverses facettes et questions liées à la répression pénale dans la pratique. Bien qu’il ne s’agisse pas exclusivement de cas renvoyant à des affaires pénales, ils abordent des thèmes et des questions liés qui sont très pertinents pour la répression pénale.
- Champ d’application matériel : United States, Hamdan v. Rumsfeld, Netherlands, In re Pilz.
- Champ d’application personnel : Canada, Sivakumar v. Canada.
- Champ d’application géographique : Judgment on the Appeal against the Decision on the Authorization of an Investigation into the Situation in the Islamic Republic of Afghanistan.
- Champ d’application temporal : Chile, Prosecution of Osvaldo Romo Mena.
- Compétence universelle : France, Legislative Developments on Universal Jurisdiction, United States, War Crimes Act, Belgium, Law on Universal Jurisdiction, Spain, Universal Jurisdiction over Grave Breaches of the Geneva Conventions, Switzerland, The Immunity of General Nezzar, Sweden/Syria, Can Armed Groups Issue Judgments?.
- Répression pénale nationale: Colombia, Special Jurisdiction for Peace, Crimes against the Environment in Cauca, Switzerland, X. v. Federal Office of Police, Switzerland, Criminal Code, Germany, International Criminal Code.
Une liste plus complète de cas dans lesquels des crimes de guerre ont été poursuivis au niveau national est disponible ici et ici. - Coopération avec les juridictions pénales internationales : Luxembourg, Law on Cooperation with the International Criminal Courts.
- Répression pénale internationale : The Prosecutor v. Jean-Paul Akayesu, The Prosecutor v. Tadić, The Prosecutor v. Jean-Pierre Bemba Gombo.
2. A à Z
Les notions suivantes apportent un éclairage supplémentaire sur la répression pénale. (en anglais seulement)
Amnesty, Breach, Command responsibility, Court, Crimes against humanity, Criminal repression, Defence, Enquiry, Extradition, Geneva Conventions, Genocide, Grave breaches, Immunities, Individual criminal responsibility, International Criminal Court, International criminal law, International Criminal Tribunal for Rwanda, International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia, Judicial guarantees, Necessity (as a defence), Non-international armed conflict, Protected persons, Rape and sexual violence, Repression of breaches, Rome Statute, State responsibility, Statutory limitations, Superior orders, Universal jurisdiction, Violations, War crimes.
3. Pour aller plus loin
Consultez les sources complémentaires suivantes pour en savoir plus sur la répression pénale et les questions connexes.
Penal Repression: Punishing War Crimes | International Committee of the Red Cross (icrc.org)
The relationship between international humanitarian law and the international criminal tribunals
International and internationalized criminal tribunals: a synopsis
Humanitarian organizations and international criminal tribunals, or trying to square the circle
The principles of universal jurisdiction and complementarity: how do the two principles intermesh?
Criminal procedure – Factsheet | International Committee of the Red Cross (icrc.org)
Guidelines on investigating violations of IHL: Law, policy and good practice
On co-operation by states not party to the International Criminal Court
Judicial guarantees and safeguards – Factsheet | International Committee of the Red Cross (icrc.org)
Prevention and Criminal Repression of Rape and Other forms of Sexual Violence during Armed Conflicts
Ce billet ne lie que la ou les personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de Osons le DIH!, de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale et les droits fondamentaux, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.