Retour sur le procès de Stanislas Mbanenande
En juin dernier, l’histoire de la justice pénale a connu un tournant avec la conclusion du premier procès pour génocide en Suède. Le cas de Stanislas Mbanenande, un suédois d’origine rwandaise, qui comparaissait sur le banc des accusés le 16 novembre 2012, a suscité plusieurs interrogations au niveau international et fut source de controverse. Les faits reprochés à l’accusé remontent à 1994, lors du génocide au Rwanda, une crise qui a fait plus de 800 000 morts en l’espace de 100 jours.
Le 20 juin 2013, Mbanenande a été reconnu coupable et condamné à vie pour génocide par la Cour du district de Stockholm.
Bref retour sur les faits
Stanislas Mbanenande est un ingénieur civil hutu, âgé de 54 ans, qui arrive en Suède en 2007. Il y rejoint sa femme et ses trois enfants qui résident sur le territoire scandinave depuis 1995. En 2008, il obtient la nationalité suédoise et est arrêté le 22 décembre 2011 par la police suédoise alors qu’il revient d’une mission de l’Agence du gouvernement suédois, au Tchad. Son arrestation s’est produite à la suite de l’émission d’un mandat d’arrêt international par le Rwanda, mais ce n’est que le 5 novembre 2012 que Mbanenande est officiellement inculpé par la Cour du district de Stockholm. Il aurait été le chef d’une milice au cours du génocide et serait responsable de quatre massacres de Tutsis dans les régions de Bisesero et Ruhiro, dans la province occidentale du Rwanda. Plus de 50 000 personnes auraient trouvé la mort lors de ces massacres. Mbanenande est accusé de génocide et de jus gentium incluant les crimes de meurtre, tentative de meurtre et enlèvement en vertu de la Loi suédoise sur le génocide de 1964. Stanislas Mbanenande a plaidé non coupable aux accusations portées contre lui.
Fait intéressant, il s’agissait du deuxième procès pour génocide pour Stanislas Mbanenande. Il a en effet déjà été jugé pour ce crime en 2009 au cours d’un procès in abstentia au Rwanda devant des tribunaux coutumiers appelés gacaca.
Les juridictions gacaca remplissent traditionnellement le rôle de justice transitionnelle et servent à régler des différends mineurs au sein de la population. Les juges sont des personnes intègres, souvent des anciens du village ayant une bonne réputation. En kinyarwanda, langue nationale du Rwanda, gacaca signifie « sur l’herbe ».
Après le génocide, les tribunaux conventionnels croulaient sous le nombre de procès. En effet, on a estimé que cela prendrait plus de 200 ans pour traduire tous les accusés en justice. En 2001, les tribunaux gacaca ont donc été instaurés pour accélérer les procès et permettre la réconciliation. Environ 260 000 adultes « intègres, honnêtes et de bonne conduite » sont choisis pour siéger dans les 10 000 tribunaux après avoir reçu une formation juridique sommaire.
Tribunaux « sur l’herbe », un succès ?
En juin 2012, le président Kagamé a annoncé la fermeture des gacaca. Leur bilan est plutôt mitigé.
En effet, les tribunaux gacaca ne rencontrent pas les standards internationaux de justice pénale. Plusieurs organisations non gouvernementales (« ONG ») dont Amnistie internationale et Human Rights Watch dénoncent les gacaca : corruption, vices de procédure, ingérence des autorités, menaces et intimidation des témoins, etc. De plus, les accusés n’ont pas accès à une défense légale et les juges, en tant qu’anciens du village, ne sont pas nécessairement impartiaux. Des rapports d’ONG constatent également l’absence du principe de présomption d’innocence et le manque de ressources pour la défense.
D’un autre côté, il est indéniable que malgré leurs nombreuses lacunes, les juridictions gacaca ont contribué à la réconciliation et la reconstruction du pays. Les organismes de défense des droits de l’homme semblent ne s’être concentrés uniquement que sur les aspects négatifs de cette justice qui existe depuis des centaines d’années au Rwanda.
Grâce aux tribunaux gacaca, la population est impliquée, se tient au courant des faits et est familière avec la procédure. Ces tribunaux ont permis la réalisation de plus de deux millions de procès pour un total de 40 millions de dollars. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (« TPIR »), quant à lui, a 69 procès à son actif qui ont coûté plus d’un milliard de dollars (News Internationalist).
Photo : Tribunal gacaca (News Internationalist)
Plusieurs croient donc qu’il ne faut pas discréditer la justice gacaca puisqu’elle a grandement aidé le Rwanda à se relever après le génocide. Nous partageons ce point de vue. C’est également ce que pense Phil Clark, professeur en politique comparative et internationale à l’école des études orientales et africaines de l’Université de Londres :
[A]fter 10 years you can honestly say that the vast majority of genocide perpetrators have been prosecuted, not perfectly, but there is a sense in the hills now of who is responsible for what. […] You know these are pretty major successes and people in the communities know more about the genocide now because of Gacaca process. The amount of information that’s come out about who committed crimes, where the bodies were buried, how particular murders were carried out, who is responsible, etc...all of this is now known because of Gacaca.
C’est devant ces tribunaux assez critiqués que Stanislas Mbanenande a été jugé en août 2009. Plusieurs intervenants ont laissé entendre des doutes concernant la légitimité relative de ce procès, notamment le Centre de lutte contre l'impunité et l'injustice au Rwanda (CLIIR) qui a vivement dénoncé la procédure :
[C]et ingénieur civil Hutu a été condamné arbitrairement à la prison à vie avec isolement par le tribunal Gacaca […]. Après un procès fantaisiste qui n’a duré que 30 minutes, ce tribunal Gacaca a rendu son jugement en l’absence de l’accusé en date du 13 août 2009. N’ayant jamais appris qu’il avait été convoqué à se présenter devant ce tribunal le 6 août 2009, son procès a été reporté au 13 août 2009, jour de sa condamnation arbitraire.
Stanislas Mbanenande a été reconnu coupable de quatre chefs d’accusation, soit d’avoir participé au génocide, d’avoir tué personnellement des personnes, d’avoir dirigé des massacres à l’encontre des Tutsis et d’avoir été en possession illégale d’armes de guerre. Il a été condamné à la prison à perpétuité.
À la suite du controversé verdict du tribunal populaire gacaca, le Rwanda a demandé l’aide d’Interpol afin de retrouver Mbanenande et de l’amener à purger sa sentence en sol rwandais. Cependant, la Suède ne reconnait pas les gacaca. Elle souhaitait juger son ressortissant selon les standards internationaux de justice pénale. Le Rwanda, quant à lui, persiste à croire en la légitimité de son procès. C’est pourquoi, en avril 2012, les autorités rwandaises ont fait une demande d’extradition à la Suède pour que Mbanenande effectue sa peine dans son pays d’origine, à la suite du jugement rendu par les cours gacaca. Le pays européen a refusé alors l’extradition.
Nous nous sommes questionnées sur les raisons ayant poussé la Suède à vouloir juger l’accusé sur son territoire, alors qu’il est citoyen rwandais et que les faits se sont déroulés au Rwanda. L’explication principale est que l’accusé est dorénavant un citoyen suédois résidant dans le pays.
Comme l’affirme le procureur de l’affaire Magnus Elving, « [w]e have a responsibility to ensure that Sweden is not a haven for suspected war criminals and for those who commit genocide ».
Le Rwanda a aboli la peine de mort le 26 juillet 2007, y compris pour le crime de génocide. Malgré cette décision, les sanctions y restent plus strictes qu’en Suède et les conditions de détention demeurent discutables. En 2009, Mbanenande a été condamné à la prison à vie, la peine la plus lourde au Rwanda, alors que la Loi suédoise sur le génocide de 1964, modifiée en 2009, prévoit des sanctions différentes. En examinant cette loi, on constate que les personnes ayant commis un tel crime ne risquent que 4 à 18 ans d’emprisonnement ou la prison à vie dans certains cas.
Une autre question demeure : comment la Suède a-t-elle pu accepter sur son territoire un criminel accusé de génocide et lui octroyer, de plus, la nationalité ?
La réponse est simple. En arrivant en Suède en 2007, Stanislas Mbanenande a fourni une fausse déclaration sur son identité. Sa femme et ses enfants étant déjà nationaux suédois, il a pu à son tour le devenir en 2008, en vertu du paragraphe 11 de la Loi sur la nationalité suédoise de 2001, qui prévoit un mécanisme simplifié dans le cas d’un regroupement familial. Cela étant dit, Mbanenande peut-il se voir retirer sa nationalité à la suite de son obtention par fausses déclarations ?
Aussi surprenant que cela puisse paraître, et contrairement à la majorité des pays, le paragraphe 14 de la Loi sur la nationalité suédoise de 2001 ne permet en aucun cas le retrait de la nationalité pour cette raison. La question du retrait de la nationalité d’une personne naturalisée suédoise a déjà été soulevée une fois devant la Cour d’appel (Svea Hovrätt). En effet, dans l’affaire B637/89 datant du 21 avril 1989, la Cour a décidé que la nationalité suédoise ne peut jamais être retirée, même si, par exemple, elle a été obtenue par fraude, fausse déclaration ou encore sous la menace.
Le procès de Stanislas Mbanenande qui a pris fin en juin dernier s’est déroulé en partie dans son pays d’origine. L’accusé, qui devait demeurer à Stockholm tout au long du processus, a pu suivre par vidéoconférence les auditions de témoins au Rwanda. Ce sont ces témoignages qui ont mené au verdict de culpabilité et à la sentence de prison à vie. Quant à une possibilité d’aller en appel, il faudra suivre le dossier pour connaître les intentions du condamné. Dans tous les cas, après dix ans, il pourra demander une réduction de sa peine, comme le prévoit la loi suédoise.
Ce premier jugement d’un tribunal suédois dans le cas de génocide suscite le questionnement. D’abord, si l’on considère que les gacaca, bien qu’imparfaites, ont eu un impact positif sur la justice rwandaise, pourquoi se permettre de renier un procès d’une telle envergure ? En d’autres termes, le fait de juger Mbanenande en Suède pourrait envoyer un message négatif face aux efforts de réconciliation entrepris par le Rwanda. Le verdict de culpabilité rendu par la Suède écarte ces interrogations, mais en aurait-il été autrement s’il avait été acquitté ?
Concernant la législation suédoise, malgré les changements apportés en 2001 sur la Loi sur la nationalité suédoise, un possible retrait de la nationalité à la suite d’une fausse déclaration n’a pas été envisagé. En 2006, le Moderate Party suggérait l’inclusion d’une clause de dénaturalisation dans la Loi sur la nationalité. Il est pertinent de se demander si le projet jusqu’ici resté sur la table fera l’objet de débat à la suite de cette histoire.
On peut finalement s’interroger sur la question de savoir si, dans le futur, il sera plus compliqué pour les étrangers d’obtenir la citoyenneté et si les autorités suédoises vont redoubler de vigilance.
Tout bien considéré, il n’en demeure pas moins que le cas de Stanislas Mbanenande redonne espoir aux tenants de la lutte contre l’impunité pour les auteurs de crime de génocide ou autres violations du droit international pénal.
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