L’ancien président guatémaltèque Rios Montt est cité à procès pour génocide et crimes de guerre
par Dominic Voisard[1]
Selon les actes d’accusation, les coaccusés seraient responsables en tant qu’auteurs intellectuels de 15 massacres qui ont mené à la mort de 1 770 maya Ixil et aux déplacements forcés de 29 000 autres membres de ce groupe entre le 23 mars 1982 et le 8 août 1983. Le groupe comptait au total 38 900 personnes selon le recensement de 1981. Ces derniers, étant privés d’approvisionnement en nourriture et en médicament, ont vécu des conditions d’existence pouvant entraîner la destruction physique totale ou partielle du groupe Ixil. Ajoutons, de plus, que le Comité international de la Croix-Rouge s’était fait refuser l’entrée sur le territoire guatémaltèque durant le conflit armé.
Ces crimes se sont produits dans le contexte de la guerre froide et plus précisément dans le cadre d’une politique militaire contre-révolutionnaire. Selon l’interprétation que fait le Ministère public des plans militaires présentés au dossier, l’attaque contre le groupe Ixil est due à la perception généralisée des membres de l’armée à cette époque selon laquelle les populations mayas, et en particulier la population maya Ixil, appuyait dans son intégralité les guérilleros présents dans la région. La tactique militaire qui a été utilisée à cette époque est celle de la « terre brûlée », c’est-à-dire que les soldats et les paramilitaires détruisaient tout sur leur passage incluant maisons, récoltes, élevages et populations.
La décision de lundi dernier est un signe des grands cheminements du système de justice guatémaltèque. En effet, depuis 2009, des avancées ont eu lieu dans quelques dossiers nationaux, comme celui du massacre de Plan de Sánchez impliquant des violations des droits de l’homme commises durant le conflit armé par des militaires et paramilitaires. Cela dit, pratiquement aucun ex-général n’avait été cité à procès pour sa participation en tant qu’auteur intellectuel des massacres commis contre la population maya.
José Efraín Rios Montt a été cité à comparaître devant le tribunal pour répondre à des inculpations de génocide et crimes de guerre il y a un an, soit le 26 janvier 2012. Depuis ce moment, l’ex-président, par l’entremise de ses avocats, a tout fait pour essayer de ralentir le processus judiciaire, interposant appels et recours constitutionnels frivoles, mais surtout, en tentant de recourir à la Loi de réconciliation nationale qui est le produit des négociations des accords de paix de 1996. Cette loi prévoit une amnistie pour certains crimes de nature politique commis durant le conflit armé. Toutefois, son article 8 prévoit explicitement une exception pour les crimes de transcendance internationale comme l’est le génocide.
Le juge Galvez a mentionné dans sa résolution orale que le mobile du crime n’est pas important dans l’analyse de l’intention génocidaire. En d’autres termes, le juge a rejeté l’interprétation des avocats de la défense selon laquelle le seul mobile permettant d’inférer l’intention génocidaire est l’attaque à l’encontre du groupe pour la seule haine du groupe. L’attaque contre le groupe pour raisons militaires par exemple, comme le prétend le Ministère public, a donc été avalisée par le magistrat.
Le juge Galvez a également analysé l’article 36 du Code pénal guatémaltèque qui prévoit les modes de responsabilité pénale en tant qu’auteur principal du crime. Puisque cet article a été tiré du Code pénal espagnol de 1940, il est peu adapté aux modes de responsabilité pouvant découler des crimes internationaux, qui évidemment ne correspondent pas à la logique d’une victime, un responsable. Il a reconnu que la théorie de l’auteur indirect (autoria mediata en espagnol) était incluse à l’alinéa 2 de l’article 36 du Code pénal guatémaltèque. Évidemment ces « avancées jurisprudentielles » - bien qu’il s’agisse d’un système civiliste - sont indéniables. Il reste à voir si l’opinion du juge Galvez sera confirmée par le banc de trois juges qui siègera au procès de Rios Montt et de Rodriguez Sanchez.
Le mercredi, 31 janvier, aura lieu une audience préliminaire qui a pour objectif l’admissibilité ou le rejet de la preuve des parties impliquées. Par la suite, le juge préliminaire programmera la date d’ouverture du procès. Celui-ci pourrait être fixé dans les 6 prochains mois. Par contre, les avocats de la défense ont déjà annoncé qu’ils allaient faire appel de la décision de lundi dernier, laissant envisager qu’ils feront tout en leur pouvoir pour suspendre le débat à l’encontre de l’ancien président qui est maintenant âgé de 86 ans. J’espère qu’il ne deviendra pas le deuxième « Pinochet » d’Amérique latine…
[1] Dominic Voisard est un ancien étudiant de la Clinique. Il est présentement au Guatemala dans le cadre d’un stage auprès d'Avocats sans frontières Canada.