[Partie I ici]
2.Des charges plus précises
Les charges portées contre Al Hassan se caractérisent par une grande précision. La Procureure semble avoir voulu éviter de répéter certaines erreurs commises dans le contexte du procès de Jean-Pierre Bemba, acquitté par la Chambre d’appel de la Cour pénale internationale [« CPI »] en juin 2018.
Dans cette affaire, la déclaration de culpabilité de Jean-Pierre Bemba en première instance reposait en partie sur des actes criminels spécifiques allant au-delà des faits et des circonstances décrits dans les charges. La Chambre d’appel a conclu à une violation de l’article 74(2) du Statut de Rome (Bemba, Arrêt relatif à l’appel interjeté par Jean-Pierre Bemba Gombo contre le Jugement rendu en application de l’article 74 du Statut de la Chambre de première instance III [« Arrêt »], paras. 98-116) et a affirmé que les actes criminels spécifiques, en tant qu’allégations factuelles relatives aux infractions sous-jacentes, font partie intégrante des charges. À ce titre, ils ne peuvent servir à établir la culpabilité d’un accusé que s’ils sont explicitement confirmés ou introduits dans les charges par voie de modification conformément à l’article 61(9) du Statut de Rome (Bemba, Arrêt, paras. 110-112, 114-116).
Par contraste, dans l’affaire Al Hassan, la Décision de confirmation des charges [« DCC »] mentionne limitativement et exhaustivement les actes criminels qui sous-tendent chaque charge confirmée (paras. 350, 352, 354-355, 515, 531, 655, 657, 659 et 707; pp. 451 et 465). En plus de répondre au droit de l’accusé d’être informé avec précision des charges auxquelles il fera face au procès (Statut de Rome, art. 67(1)(a)), une telle approche s’inscrit en conformité avec l’une des fonctions principales de la procédure de confirmation des charges, soit la détermination du cadre précis de l’affaire à renvoyer en jugement (Statut de Rome, art. 61(7)(a) et 61(11)).
3.Une juste application du droit international humanitaire
La confirmation des charges de crimes de guerre requiert à la fois l’existence d’un conflit armé et celle d’un lien entre ce conflit armé et les faits reprochés à l’accusé (DCC, para. 200; Katanga, Jugement, para. 1176). À cet effet, le raisonnement de la Chambre préliminaire I dans l’affaire Al Hassan est conforme au droit international humanitaire.
Tout d’abord, la Chambre a conclu à l’existence d’un conflit armé ne présentant pas un caractère international. Dans son analyse, elle s’est appuyée à juste titre sur les conclusions de la Chambre de première instance VIII dans l’affaire Al Mahdi, cette affaire ayant un cadre territorial et temporel similaire à l’affaire Al Hassan (DCC, para. 204; Al Mahdi, Jugement, para. 49). Elle a notamment identifié les groupes armés impliqués, soient les forces nationales régulières maliennes, Ansar Dine, AQMI, le MNLA et le MUJAO. Elle a ensuite mis en lumière leurs niveaux d’organisation respectifs, de même que l’intensité de la violence et le caractère prolongé du conflit armé (DCC, paras. 206-214). Elle a noté qu’à la suite des combats opposant les forces armées gouvernementales maliennes à l’alliance Ansar Dine/AQMI/MUJAO, lesquels ont lieu à partir du 17 janvier 2012 dans la région de Gao, les forces gouvernementales se sont retirées des trois régions du Nord, à savoir Gao, Kidal et Tombouctou. L’alliance insurgée en a ensuite pris le contrôle jusqu’en 2013, tout en chassant le MNLA de cette zone. Le gouvernement malien, avec l’appui de la France, n’a repris le contrôle des trois régions qu’en janvier 2013 (DCC, para. 219)[1]. Une mission de la paix de l’ONU a alors été instaurée (DCC, para. 219). Un accord de paix est intervenu en deux temps, en 2015 et 2018, mais n’a pas empêché de nombreux affrontements et violations du cessez-le-feu (DCC, paras. 215-220).
Au terme de cet exercice de qualification, les juges ont évacué le terme « occupation » de leur analyse, permettant ainsi de lever définitivement l’ambiguïté résultant de l’utilisation de cette notion à la fois par la Chambre préliminaire I et la Chambre de première instance VIII dans l’affaire Al Mahdi (Al Mahdi, Decision on the confirmation of charges against Ahmad Al Faqi Al Mahdi, paras. 44, 45, p. 24; Al Mahdi, Jugement, paras. 33, 36, 53). Cette notion, qui avait en outre été reprise par le Bureau du Procureur, n’existe pourtant que dans le cadre de conflits armés internationaux (la Chambre le met en évidence dans la DCC au para. 225, note de bas de page 588, p. 105). Les juges lui ont préféré à bon droit la notion de « contrôle » de certaines zones par les groupes armés. On notera toutefois l’emploi du terme « combattants » (DCC, paras. 201, 213, 216), dont l’utilisation dans cette affaire peut être critiquée puisque celui-ci est également réservé aux conflits armés internationaux. Bien qu’il n’existe pas d’équivalent en français du terme « fighters », utilisé en anglais pour distinguer les membres de forces armées gouvernementales (c’est-à-dire des combattants au sens juridique du terme) des membres de groupes armés, la Cour aurait tout de même pu éviter l’utilisation de ce terme en évoquant les « membres des groupes armés », par exemple, ou en proposant un autre terme utile à leur désignation.
La défense avait tenté de soustraire la période du 1er avril 2012 au 28 janvier 2013 de l’analyse de la Cour, arguant de « l’absence de combats armés à Tombouctou pendant la période des faits relatifs à l’affaire » (DCC, para. 221). Cependant, dans un développement qui contribue à conforter la jurisprudence antérieure de la CPI et des tribunaux ad hoc, la Chambre préliminaire a estimé que le conflit perdurait au moment de la commission des faits reprochés à l’accusé. Tout au plus concède-t-elle une « trêve provisoire » (DCC, para. 223), laquelle ne témoigne pas de la fin du conflit ou d’une période de paix. Pour ce faire, la Chambre s’appuie sur la date de signature de l’accord de paix (15 mai 2015) et sur le constat au terme duquel l’article 8 du Statut de Rome s’applique « à partir du commencement de la violence armée, jusqu’à ce qu’un accord de paix ait été trouvé dans l'ensemble du territoire sous le contrôle d’une des parties, et ce, même en l’absence de combats armés à proprement parler sur cette partie du territoire » (DCC, para. 222). Autrement dit, la Chambre confirme que la disparition de l’un des critères nécessaires à la qualification d’une situation de conflit armé non international, à savoir l’organisation des parties et l’intensité de la violence, ne conduit pas au constat que ce conflit est fini. Il faut pour cela pouvoir constater un retour à la paix, dont un accord de paix peut être le début du témoignage (DCC, paras. 221-224).
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[1] Il est à noter que cette affirmation de la Chambre est controversée.
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