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La désillusion des droits de la défense à l’Assemblée des États Parties: réflexions sur l’évènement « The Trials at the ICC – How long is Too Long? »

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21 December 2022

Le 5 décembre 2022, dans le cade de la 21e session de l’Assemblée des États Parties (AEP) de la Cour pénale internationale (CPI), avait lieu l’évènement parallèle (side event) « The Trials at the ICC – How long is Too Long? », au World Forum, à La Haye. L’évènement mettait en vedette divers panélistes, dont les juges Ekaterina Trendafilova et Piotr Hofmański et les avocats.es Jennifer Naouri et Fabricio Guariglia.

Ce side event avait pour objectif de présenter la version préliminaire d’un rapport de recherche[1] préparé par l’International Nuremberg Principles Academy et la International Criminal Law Research Unit de la Friedrich-Alexander-Universität Erlangen-Nürnberg (ICLU) à la demande du gouvernement allemand. Ce dernier leur avait confié le mandat de déterminer si la durée des procédures devant la CPI était disproportionnée, d’analyser les facteurs qui contribuent à la longueur des procédures ainsi que de formuler des recommandations pour accélérer ces dernières[2].

L’atmosphère qui régnait lors de l’évènement fût une de tensions, indignations, et questionnements. En effet, dans l’avant-midi du 5 décembre, nous apprenions que des membres des équipes de la défense ainsi que des représentants.es externes des victimes de la CPI avaient été bannis.es de l’AEP. Les justifications données par l’AEP reposaient sur les manifestations simultanées menées par ces membres et représentants.es devant le siège de la CPI. Des images de ces manifestations sur les réseaux sociaux illustraient ces personnes vêtues de rubans rouges, un accessoire créé pour le mouvement, tenant bien haut pancartes et cartons appelant à de meilleures conditions de travail (voir ici et ici; voir également la requête d’ajournement des procédures soumise par les Conseils de la défense pour messieurs Ngaïssona et Yekatom en vue des manifestations).

En plus du bannissement des salles du World Forum, l’agenda des évènements parallèles à l’AEP était le reflet, à première vue, d’une complète indifférence des droits de la défense. Sur les 48 side events organisés lors de cette édition de l’AEP, seulement deux affichaient des titres qui résonnaient avec ces droits, soit la conférence ici discutée et le lancement du livre Code de conduite professionnelle des Conseils : un commentaire article par article[3] de Philippe Curat.

Dans ce contexte, le rapport au cœur de l'évènement « The Trials at the ICC – How long is Too Long? » a soulevé des questionnements et critiques à l’égard des droits de la défense au sein des panélistes et des participants. Deux aspects ont été brièvement discutés par une des panélistes, Jennifer Naouri, présidente sortante de l’Association du Barreau de la Cour pénale internationale, soit le droit d’être jugé sans retard excessif et la conflictualité des droits des accusés. Les prochaines sections proposent d'explorer le contenu du rapport afin d’analyser cette prise de position et formuler des observations complémentaires.

À qui appartient le droit d’être jugé sans retard excessif?

Dès les premières pages du rapport de la Nuremberg Academy et de l’ICLU, le langage utilisé pour décrire le droit d’un.e accusé.e d’être entendu dans un délai raisonnable semble faire preuve de retenue. En effet, le mandat même du rapport, soit d’évaluer la proportionnalité de la durée des procédures à la CPI, manque de précision sur les raisons et objectifs d’une telle étude. À qui sert pareille recherche? Pourquoi voudrait-on accélérer la durée des procédures? Aucune mention des droits de l’accusé.e est ainsi faite en amont.

Plus loin, le rapport énonce les assisses juridiques du concept de proportionnalité et les droits humains sous-tendant ce concept au regard de la durée de procédures judiciaires. Il établit ainsi qu’il est utilisé comme standard juridique pour évaluer si l’atteinte à un droit fondamental est justifié ou équivaut à une violation de ce droit[4]. Les droits humains directement liés à la durée de procédures judiciaires sont ensuite listés, alors annoncés comme « mainly focusing on the accused’s rights »[5] (nos emphases). Or, les droits tirés des conventions internationales et régionales des droits de la personnes ainsi que des statuts de juridictions internationales pénales ne sont pas principalement, mais tous liés aux droits des accusés.es (PIDCP, arts 9(3) et 14(3)(c) ; CEDH, art. 6(1) ; CIADH, art. 8(1) ; CAfDH, art. 7(1)(d) ; Charte arabe des droits de l’homme, art. 14 ; Statut de Rome, art. 67(1)(c); Statut du TPIY, art. 21(4)(c); Statut du TPIR, art. 20(4)(c)).

Tel que soulevé par Me Naouri, le droit d’être entendu dans un délai raisonnable ou d’être jugé sans retard excessif est uniquement un droit de la défense. Il va de soi que le Bureau du Procureur, en tant qu’organe de la Cour, ne peut se prévaloir de ce droit.

Qu’en est-il donc des droits des victimes? Devant la CPI, ces droits peuvent être classés en trois catégories : le droit à la participation, le droit à la protection et le droit aux réparations. La question d’un droit à la célérité des procédures pourrait bien évidemment se poser au regard du droit général à la participation, notamment au sein des dispositions qui permettent à la Cour de prendre en compte les points de vue et intérêts des victimes. Or, comme le prévoit l’article 68(3) du Statut de Rome, la prise en compte des intérêts des victimes est sujette au respect des droits de l’accusé.e. L’article dispose en effet que :

[l]orsque les intérêts personnels des victimes sont concernés, la Cour permet que leurs vues et préoccupations soient exposées et examinées, à des stades de la procédure qu'elle estime appropriés et d'une manière qui n'est ni préjudiciable ni contraire aux droits de la défense et aux exigences d'un procès équitable et impartial. [Nos emphases]

Il apparaît ainsi qu’une décision portant sur la célérité des procédures ne pourrait être rendue en faveur des victimes que lorsque cela est également favorable à l’accusé.e. Ce faisant, si une mesure visant à accélérer les procédures s’avère préjudiciable à l’accusé.e, cela signifie qu’un autre droit de la défense est affecté (par exemple, le droit de disposer du temps nécessaire pour préparer sa défense ou le droit d’interroger les témoins à charge). Il sera alors question de mettre en balance ces droits (voir ci-bas).

Se reflétant dans l’ensemble du rapport, la retenue des auteurs.es dans la reconnaissance d’un lien intrinsèque entre durée des procédures et droits de l’accusé.e semble en réalité tout à fait volontaire. En effet, selon les auteurs.es, l’analyse de la durée des procédures a nécessité, aux fins de l’étude, une posture objective de sorte à rendre compte d’une approche multidimensionnelle de l’examen des facteurs d’influence, des droits sous-jacents et des recommandations[6].  Les droits de l’accusé.e sont donc lettres mortes en début de rapport et mentionnés que sporadiquement ou employés dans un langage plus soft dans les parties subséquentes. Or, affirmer explicitement que la longueur des procédures est directement reliée aux droits de la défense ne semble pas subjectif, mais juridiquement juste.

Conflictualité/mise en balance des droits de l’accusé.e

Conformément au mandat initial du rapport, les auteurs.es soumettent comme conclusions une liste de facteurs influençant la durée des procédures et ainsi que plusieurs recommandations dédiées aux Chambres, Bureau du Procureur, Conseils de la défense, Greffier et à l’Assemblée des États Parties.

Au regard des Conseils de la Défense, les données à l’étude indiquent que ces derniers ont une moins grande responsabilité lorsqu’est évaluée la proportionnalité de la durée des procédures, alors que la majorité du temps, le délai engendré est issu de l’emploi de tous les moyens nécessaires pour assurer une défense pleine et entière[7]. Des procédures disproportionnellement longues ayant été définies comme des « unreasonably long proceedings and as proceedings in which there has been undue delay »[8], les auteurs.es considèrent que l’exercice par les Conseils de ces moyens nécessaires ne peut être déraisonnable[9]. Néanmoins, le rapport reconnait que certains Conseils retardent le cours des procédures de manière intentionnelle à titre de stratégie[10]. Ainsi, les auteurs.es recommandent, entre autres, une approche plus stricte sur la conduite des procédures et l’imposition d’échéanciers par les Chambres et le Président de la Cour[11].

S’il est vrai que certaines actions prises par les Conseils peuvent retarder la durée des procédures, notamment les demandes d’ajournement, la divulgation d’éléments de preuve et l’appel de décisions, la majorité sont fondées sur la base d’autres droits statutaires de l’accusé.e[12]. Certains facteurs hors du contrôle des Conseils peuvent également impacter le droit de l’accusé.e d’être jugé sans retard excessif, tel que le manque de ressources financières dédiées à l’assistance juridique (voir ici et ici). Une refonte de la Politique sur l’assistance juridique forme d’ailleurs l’une des revendications des Conseils de la CPI dans le cadre des récentes manifestations.

En bref, le rapport reconnait à plusieurs reprises que les Conseils de la Défence « cannot be held responsible for delays in the proceedings when exercising the accused’s procedural rights »[13]. Il s’agit en fait d’une prérogative des Conseils d’ajourner les procédures ou de formuler des requêtes ayant comme conséquence le retard des procédures afin d’assurer le respect des (autres) droits de l’accusé.e.  Il importe ici de mentionner que ce passage vient une fois de plus confirmer que le droit à la célérité des procédures est un droit de la défense uniquement, alors qu’il serait impossible de reconnaître une violation de ce droit aux autres parties si l’on suppose que toutes actions prises par les Conseils sont motivées par l’exercice des droits de l’accusé.e.

Cela étant dit, la recommandation des auteurs.es d’adopter une approche plus stricte sur la conduite des procédures par les Conseils, notamment par l’imposition d’échéanciers, peut, à un certain degré, rendre complexe la mise en balance des droits de l’accusé.e. En effet, et tel que souligné par Me Naouri, le respect du droit à la présomption d’innocence et le droit connexe à un procès équitable nécessite temps et ressources. La tenue de procès et l’avancement de procédures judiciaires sont des expériences humaines qui varient d’une affaire à l’autre. Dans certains cas, les témoins seront réticents.es à témoigner ou difficiles à retracer alors que dans d’autres cas la santé ou les conditions familiales d’un.e accusé.e entraîneront des conséquences importantes sur le cours des procédures. Ce faisant, pousser les parties et les juges à imposer de stricts échéanciers est incompatible avec la nature même de tels procès. En d’autres mots, la célérité des procédures est souhaitable, mais pas à tout prix. Par ailleurs, Me Naouri réitère que contrairement au Bureau du Procureur, les équipes de défense n’ont pas de Division des enquêtes ou de sections des avis juridiques et des appels : tout le travail est fait par les membres d’une seule et même équipe.

En pratique, la mise en balance des droits des accusés.es signifie simplement que ces derniers.ères ne devraient pas être astreints.es à choisir en deux ou plusieurs de leurs droits. Ainsi, en fonction des meilleurs intérêts de l’accusé.e et dans certains cas de figure, le droit de bénéficier du temps nécessaire à sa défense ou le droit de faire appel d’une décision pèsera plus lourd dans la balance vis-à-vis du droit d’être jugé sans retard excessif. Dans le même ordre d’idées, la célérité des procédures ne devrait pas servir d’arguments pour les parties ou les Chambres afin d’empêcher l’accusé.e de faire valoir ses autres droits statutaires. 

Conclusion

Alors que le rapport soumet comme conclusion finale que « while trials at the ICC are long, they are not disproportionately long »[14], un des facteurs analysés pour arriver à cette conclusion mériterait une plus grande attention, soit l’importance, l’impact ou l’effet préjudiciable des procédures sur l’accusé.e, notamment sur le respect de ses droits à la vie, à l’intégrité physique et à la famille[15]. Ce dernier critère est appliqué comme critère à part entière dans la jurisprudence des juridictions régionales de droits humains (voir ici également) et des tribunaux ad hoc. Or, dans l’analyse du rapport, ce critère est subsumé au sein d’autres critères[16]. Il va sans dire que les répercussions de longues procédures sur la vie personnelle et professionnelle d’un.e accusé.e de même que les effets préjudiciables du temps passé en détention sont d’autant plus importants lorsque la décision sur la culpabilité résulte en un acquittement. Dans ces cas, les préjudices sont irréversibles et peuvent se poursuivre après l’acquittement, alors qu’une compensation n’est pas garantie (Statut de Rome, art 85(3) ; voir ici également) et que divers obstacles limiteront un retour « normal » à la vie.

La publication de ce billet et la participation de l’auteure à la 21e Assemblée des États Parties à la Cour pénale internationale s’inscrivent dans le cadre du Partenariat canadien pour la justice internationale.

 

 

[1] Le rapport n’est encore pas, à ce jour, publié. Il était distribué en version papier à titre de version préliminaire aux personnes présentes lors de l’évènement.

[2] Nuremberg Academy and ICLU, Length of the Proceedings at the International Criminal Court, p. xviii.

[3] Le livre n’est pas, à ce jour, encore publié.

[4] Ibid, p. 6.

[5] Ibid, p. 8.

[6] Ibid, p. 4.

[7] Ibid, pp.16,66,135 et 160.

[8] Ibid, p.xviii

[9] Ibid, pp.66 et 78.

[10] Ibid, pp.135 et 162.

[11] Ibid, pp.161-162.

[12] A contrario, il pourrait être soulevé que la soumission tardive de requêtes résulte d’une mauve gestion.

[13] Nuremberg Academy and ICLU, pp. xx, 66,78 et 88.

[14] L’analyse porte sur les sept procès conduit à ce jour par la CPI, soit les procès d’Ongwen, Bemba, Ntaganda, Katanga, Ruto et Gbagbo. Pour évaluer la longueur des procédures, le rapport indique prendre comme point de départ la requête de délivrance d’un mandat d’arrêt par le Bureau du Procureur ou d’une citation à comparaître sur le fondement de l’article 58 du Statut de Rome jusqu’au jugement final rendu par une Chambre de première instance ou la Chambre d’appels. Ce faisant, la phase des enquêtes et les décisions sur la sentence et les réparations sont exclus du champ d’étude.

[15] Les autres critères sont : la complexité de l’affaire (en termes de droit substantif et procédural), la conduite de l’accusé et des autres participants, et la conduite des autorités (les organes de la Cour et les États parties) : Nuremberg Academy and ICLU, p.17.

[16] Ibid, p.159

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