Présentation du travail de recherche d’Alexandra Magaloff : Les migrants climatiques et l’élévation du niveau de la mer, une meilleure protection par le droit international des droits humains
Les enjeux que posent les changements climatiques représentent l’un des plus grands défis de notre temps, en particulier pour plusieurs États insulaires qui font face à d’importantes dégradations environnementales. En 2020, 12,1 millions de personnes ont été déplacées au sein de l’Asie-Pacifique, région du monde la plus sujette aux risques naturels. Les changements climatiques augmentent les risques de catastrophe comme les inondations, les sécheresses, les tempêtes et l’élévation du niveau de la mer, ce qui engendre des déplacements importants de population. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a par ailleurs affirmé que les effets des changements climatiques persisteront pendant de nombreux siècles, et ce même si les émissions de gaz à effet de serre venaient à diminuer.
Cette note de blogue offre une synthèse du travail de recherche (essai) effectué par Alexandra Magaloff dans le cadre de sa maîtrise à la faculté de droit de l’Université Laval, sous la direction de Julia Grignon. Cet essai se concentre sur les migrants dans les États insulaires d’Asie-Pacifique, premiers confrontés à la montée des eaux induite par les changements climatiques.
À l’heure actuelle, il n’existe aucun régime de protection spécifique en droit international pour ces migrants climatiques[1] qui doivent chercher refuge au sein d’États tiers. Cette recherche vise à démontrer que les domaines du droit international actuellement en mesure d’offrir une protection à ces migrants climatiques, notamment le droit international des réfugiés, restent insuffisants. Des pistes de solutions sont explorées afin de développer un régime de protection plus complet pour ces migrants climatiques, notamment en droits humains ainsi qu’en droit relatif aux changements climatiques.
Tout d’abord, cet essai analyse les nouvelles constatations du Comité des droits de l’homme des Nations Unies (le Comité) qui sont venues éclairer le débat juridique en janvier 2020 et dans lesquelles le Comité offre une interprétation du droit à la vie inédite en se réappropriant la notion de non-refoulement. Selon le Comité, les personnes fuyant les effets des changements climatiques ne devraient pas être renvoyées dans leur pays d’origine si leurs droits humains s’en trouvaient menacés.
Cette récente interprétation amène à se poser la question suivante : dans quelle mesure les outils juridiques des différentes branches du droit international destinées à la protection des personnes (droit international des droits humains, droit international des réfugiés, droit relatif aux changements climatiques…) peuvent-ils contribuer à offrir une protection aux migrants climatiques qui font face à la montée des eaux sur leur territoire ?
Pour répondre à cette interrogation, il convient de répondre à deux sous-questions que nous exposons ci-après.
1-Quelles sont les mesures déjà mises en place actuellement et à quels obstacles font-elles face ?
La première section de cet essai s’intéresse au contexte actuel qui conduit à des violations des droits des migrants climatiques en Asie-Pacifique. Pour répondre à cette première sous-question, nous posons l’hypothèse suivante : les protections offertes par le droit international des réfugiés sont insuffisantes et présentent de nombreux inconvénients.
Les personnes contraintes de se déplacer en raison des effets des changements climatiques, et plus spécifiquement de la montée des eaux, n’entrent pas dans la définition de réfugié au sens de la Convention de Genève de 1951. Les changements climatiques et l’élévation du niveau de la mer ne sont pas considérés comme un motif de persécution et ne permettent donc pas l’octroi du statut de réfugié au sens de la Convention. Pourtant, le nombre de personnes contraintes de quitter leur lieu de vie en raison de l’élévation du niveau de la mer ne cesse d’augmenter. Par ailleurs, les États insulaires sont les plus touchés par l’impact des changements climatiques et la montée des eaux. Les populations d’États de faible altitude, comme les Kiribati, « pourraient à l’avenir être obligées de quitter leur pays en raison des changements climatiques ». L’existence même de certains États se retrouve menacée par l’élévation du niveau de la mer, créant ainsi des peuples entiers d’apatrides. Selon le GIEC, « l'élévation rapide du niveau de la mer inondant îles et établissements côtiers est inévitable » et entraînera le déplacement de populations entières de façon permanente.
Les enjeux posés par le changement climatique ont permis l’adoption de diverses mesures juridiques à partir des années 1980, entraînant une augmentation des contentieux climatiques aux échelles nationales et internationales.
En 2020, la décision du Comité des droits de l’homme sur l’affaire Ioane Teitioa représente une réelle avancée pour la protection internationale des migrants climatiques. Le droit international des droits humains offre des outils permettant aux États parties volontaires d’adapter leurs législations nationales afin de garantir cette protection. À l’avenir, les effets des changements climatiques vont de plus en plus exposer les individus à des violations de leurs droits fondamentaux et donc déclencher cette obligation de non-refoulement en cas de menace imminente au droit à la vie. Cet essai montre qu’il est possible de renvoyer les États membres du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) à leurs obligations au regard du droit à la vie, en adoptant l’interprétation formulée par le Comité et en mobilisant les obligations qui découlent du principe de non-refoulement en droit international.
Cette décision représente une réelle avancée en matière de protection juridique des migrants climatiques même si le chemin reste encore long. Les effets concrets de la décision du Comité restent à voir, en particulier face aux futurs recours. Néanmoins, les apports consacrés par cette décision sont immenses dans la mesure où « [i]l s’agit de la reconnaissance, sur le plan international, d’une responsabilité qui repose sur les États pour celles et ceux qui étaient jusqu’alors oubliés ». Les États ne sont plus laissés à leur libre appréciation en la matière, puisque le Comité joue le rôle d’autorité interprétative du Pacte. Sa décision pourra donc être invoquée dans des cas similaires, aux plans international comme national.
D’ici 30 ans, nombreux seront les États concernés par des enjeux de déplacements climatiques, et face à un problème qui nous concernera tous, le dialogue sera inévitable afin d’aider des millions de vies affectées par la montée des eaux. Cela devrait pousser à la création d’accords bilatéraux ou internationaux offrant des solutions adaptées aux personnes déplacées en raison des changements climatiques, ainsi qu’à un plus grand effort en matière d’actions climatiques de la part des États.
2-Quelles sont les nouvelles mesures à envisager pour favoriser la protection des migrants climatiques ?
L’hypothèse avancée ici est la suivante : le droit relatif aux changements climatiques semble être la branche du droit international offrant le plus d’outils de protection pour les migrants climatiques en raison des liens inhérents entre enjeux climatiques et droits humains. Cette branche présente des aspects intéressants pour encadrer et organiser juridiquement les inévitables déplacements de populations affectées par la montée des eaux.
La question du déplacement des migrants climatiques touche avant tout à l’enjeu des changements climatiques : c’est un véritable défi mondial exigeant des solutions locales adaptées à chaque situation. Les rapports du GIEC poussent au constat crucial de l’urgence d’agir en faveur du climat. Un financement adéquat, le transfert de technologies, la volonté politique et la concertation de toutes les parties concernées rendront plus efficaces l’adaptation aux changements climatiques et la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le dernier volet du sixième rapport d’évaluation du GIEC paru le 4 avril 2022 cible principalement les énergies fossiles en appelant à une baisse substantielle de la consommation et de la production de celles-ci, ainsi qu’au désinvestissement du secteur privé et à la fin des subventions de ce secteur. Le message est sans équivoque : « le changement climatique menace le bien-être de l’humanité et la santé de la planète. Tout retard dans l’action mondiale concertée nous ferait perdre un temps précieux et limité pour instaurer un avenir viable ».
Les impacts du dérèglement climatique affectent de plus en plus la capacité d’adaptation des communautés face aux changements de leur environnement et représentent de ce fait une menace importante pour la réalisation de tous les droits humains. La coopération est cruciale tant sur le plan juridique que politique. Les États doivent collaborer avec les parties prenantes concernées pour veiller à ce que le financement climatique, la technologie et le renforcement des capacités soient utilisés pour parvenir à un développement durable fondé sur les droits humains. Les pays doivent accélérer les mesures ambitieuses d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques afin de préserver les progrès réalisés en matière de développement durable. Une transition vers une trajectoire de développement équitable à faible émission de carbone et résiliente aux catastrophes est nécessaire.
Par ailleurs, la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) devrait également reconnaître que les déplacements externes sont inévitables et que de nombreux cas d’apatridie pourraient survenir en raison du changement climatique, en particulier dans le cas les États insulaires de faible altitude durement touchés par la montée des eaux. D'après certaines estimations, Tuvalu pourrait disparaître au cours des 50 prochaines années. De même, Kiribati a cherché à obtenir des garanties pour sa population dans le cas où l'ensemble de son territoire serait submergé. Le principe de prévention de l'apatridie est un principe général reconnu en droit international comme le corollaire du droit à une nationalité et cette question risque à l’avenir d'être un enjeu très préoccupant.
Cet essai vise enfin à rappeler l’importance pour les États d’agir conjointement avec les autres membres de la communauté internationale pour prévenir de futures violations de droits humains résultant des changements climatiques et pour demander réparation concernant les violations qui se sont déjà produites, en particulier à travers des mécanismes et processus internationaux relatifs aux droits humains. L’intégration du droit international des droits humains dans l’action climatique est essentielle pour placer les êtres humains au centre d’un effort combiné visant à garantir les droits fondamentaux tout en luttant contre le changement climatique.
Conclusion
Ce travail de recherche met en évidence la façon dont les changements climatiques affectent les droits fondamentaux des migrants climatiques en Asie-Pacifique et l’absence de réponse satisfaisante du droit international à cet égard. L’analyse détaillée de la décision Teitiota c. Nouvelle Zélande rendue par le Comité des droits de l’homme démontre une avancée en la matière tout en soulignant les limites entourant un enjeu aussi complexe que celui des migrants climatiques.
Selon le GIEC, nous disposons désormais de 3 ans pour agir. Avec seulement 3 années pour éviter les conséquences désastreuses du réchauffement climatique, « nous devons changer de cap dès maintenant, c’est notre seule chance si nous voulons protéger l’humanité ».
[1] Les migrants climatiques sont définis par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) comme « les personnes ou groupes de personnes qui, essentiellement pour des raisons liées à un changement environnemental soudain ou progressif influant négativement sur leur vie ou leurs conditions de vie, sont contraintes de quitter leur foyer ou le quittent de leur propre initiative, temporairement ou définitivement, et qui, de ce fait, se déplacent à l’intérieur de leur pays ou en sortent ».
Ce billet ne lie que la ou les personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de Osons le DIH!, de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale et les droits fondamentaux, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.
La publication de ce billet est en partie financée par Osons le DIH! et le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.