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La polémique de l’accession de la Palestine à la Cour pénale internationale en bref

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Sarah Charbonnier-Jamet

CONSULTER LE PROFIL

Noémi Poissant

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20 November 2014
 

Le 6 novembre dernier, le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (ci-après « CPI ») annonçait qu’il n’enquêterait pas sur l’attaque par Israël d’une flottille qui tentait d’apporter de l’aide humanitaire aux populations dans la bande de Gaza, en mai 2010. Il a jugé que malgré la compétence à la fois temporelle, matérielle et territoriale de la Cour en l’espèce, les événements en cause dans la demande présentée par l’Union des Comores en vertu de l’article 14 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (ci-après « Statut de Rome ») n’étaient pas suffisamment graves. Ainsi, la Procureure a reconnu qu’il y avait suffisamment d’éléments pour croire raisonnablement que des crimes de guerre avaient été commis, mais que l’évènement limité à une seule journée et le faible nombre de victimes potentielles rendaient l’affaire irrecevable au sens de l’article 17(d) du Statut de Rome. La Procureure en a profité pour réitérer son incompétence à se saisir de la situation palestinienne, une position déjà source de polémique depuis longtemps.

En effet, depuis 2009, l’Autorité nationale palestinienne semble nourrir un certain intérêt à référer la situation israélo-palestinienne à la CPI à des fins d’enquête et de poursuites. À ce jour, et malgré les nombreuses critiques (voir également ici ou encore ), la justice internationale refuse d’intervenir alors que la CPI a justement été créée dans le but de lutter contre l’impunité des crimes graves, tels les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Or, ces catégories de crimes sont justement visées dans la demande dont a été saisi le Bureau du Procureur.

Pour comprendre les difficultés relatives à l’accession de la Palestine à la CPI et mieux cerner la polémique entourant cette question d’actualité, il convient d’explorer, même brièvement, les débats juridiques soulevés depuis 2009 et ceux que le futur laisse déjà entrevoir. Alors que la CPI est sans équivoque en partie responsable de l’inertie de la situation, certaines considérations, ci-après analysées, nous portent à croire que la Palestine l’est également.

Le débat entourant la validité de la déclaration 12(3) présentée par la Palestine en 2009

En 2009, l’Autorité nationale palestinienne reconnaissait  dans une déclaration déposée en vertu de l’article 12(3) du Statut de Rome (ci-après « déclaration 12(3) ») la compétence de la CPI à « identifier, poursuivre et juger les auteurs et complices d’actes commis sur le territoire palestinien depuis le 1er juillet 2002 » [traduction non officielle].

Dès le début de l’examen préliminaire réalisé en vertu de l’article 53(1) du Statut de Rome, l’incertitude entourant la qualité d’État de la Palestine s’est retrouvée au centre des débats. Effectivement, la qualification d’État des adhérents au Statut ou des dépositaires d’une déclaration 12(3) est une question primordiale, l’article 125 du Statut énonçant qu’il « est ouvert à l’adhésion de tous les États […] » et que tout État souhaitant devenir partie au Statut doit déposer un instrument d’adhésion « auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies ». C’est pourquoi Luis Moreno Ocampo, alors Procureur de la CPI, a choisi de retarder sa décision de se saisir de la situation, établissant dans son rapport de 2013 que « c’était aux organes compétents de l’Organisation des Nations Unies ou à l’Assemblée des États parties qu’il revenait de décider, en droit, si la Palestine constituait ou non un État aux fins d’adhésion au Statut de Rome et, par conséquent, d’exercice de la compétence de la Cour [...]. »

Cette décision ne fit pas l’unanimité au sein de la doctrine internationaliste, comme le démontrent plusieurs textes comme, entre autres, ceux d’Allain Pellet, de l’Al-Haq, de John Dugar ou encore de William Schabas. Elle peut pourtant se justifier, puisque l’adhésion aux traités multilatéraux est administrée par le Secrétariat général de l’ONU, « qui suit ou sollicite habituellement les recommandations de l’Assemblée générale pour déterminer si un candidat peut ou non être considéré comme un “État” ». Comme la reconnaissance étatique est la prérogative des États, si le Procureur avait validé la déclaration 12(3) de 2009, même tacitement et pour la seule fin d’exercer sa compétence, il aurait reconnu à la Palestine ce statut tant disputé, créant ainsi un précédent dont les répercussions auraient eu de lourdes conséquences politiques et légales, entre autres pour la CPI.

Cette décision du Procureur Ocampo demeure aujourd’hui encore controversée, certains estimant qu’il s’agissait d’une décision plus politique que juridique. Évidemment, la lutte contre l’impunité aurait été beaucoup mieux servie par une interprétation plus large de 12(3) du Statut de Rome, dont l’application ne se serait pas arrêtée à la qualification d’État de la Palestine comme l’affirment Errol Mendes et Yuval Shany. Comme le Professeur William Schabas l’a si sagement exprimé dans un billet de blogue :

[...] even assuming that the Prosecutor is correct in stating that it is for the Secretary-General or the General Assembly to make the determination as to whether an entity should be a ‘State’ for the purposes of article 12(3) of the Rome Statute, a more generous and inspired interpretation would have much to rely upon in concluding that Palestine already has a sufficient degree of recognition.

Les suites de la reconnaissance de la Palestine comme État par l’Assemblée générale des Nations Unies

Le 29 novembre 2012, l'Assemblée générale des Nations Unies adoptait la résolution 67/19 accordant à la Palestine le statut d’État non-membre observateur, ravivant les espoirs de voir le Procureur de la CPI se saisir de la situation palestinienne. Cependant, c’est dans la polémique que ce dernier choisit de s’abstenir, jugeant que cette résolution ne légitimait pas la déclaration de 2009 et qu'il n'était « pas juridiquement fondé à initier un nouvel examen préliminaire ». Le rapport d’activité du Bureau du Procureur de novembre 2013 laisse transparaître, sans toutefois l’exprimer explicitement, une interprétation erronée qui n’accorderait à la Palestine un statut étatique qu’à partir de la date de la résolution.

Pourtant, la reconnaissance d’un État par les Nations Unies ne marque pas sa création mais réduit plutôt au silence les disputes entourant sa qualité d’État[1]. La position du Procureur aura tout du moins l’avantage d’écarter un débat qui fera éternellement l’objet de discorde, comme l’illustrent si bien les textes de John Quigley et Robert Weston Ash. À défaut de convaincre le Procureur de la CPI de se saisir de la situation palestinienne en foi de la déclaration 12(3) de 2009, la résolution 67/19 aura réglé la question étatique de la Palestine pour toute adhésion et/ou déclaration 12(3) future[2].

C’est d’ailleurs probablement en partie parce qu’elle était fondée sur la déclaration 12(3) de 2009 que la plainte soumise en juillet 2014 par le ministre de la Justice et le Procureur Général palestiniens ne reçut que peu, pour ne pas dire aucune considération de la part la Procureure actuelle de la CPI, Fatou Bensouda. Cette omission, qui ne fut pas contestée par les autorités palestiniennes, évita du coup à la Procureure de rouvrir le débat sur le statut d’État de la Palestine avant 2012 et s’inscrivit parfaitement dans la ligne de pensée du Bureau du Procureur sur ce sujet. Néanmoins, il semblerait que la Procureure nage à contre-courant alors que beaucoup s’entendent pour dire que « [t]he Prosecutor can exercise jurisdiction over the territory of Palestine since 1 July 2002 as a result of Palestine’s declaration of January 2009»

Ceci étant dit, nous sommes d’avis qu’en pratique, la Procureure ne pourrait prendre action sur ce document manifestant des intentions vieilles de 5 ans sans s’assurer auparavant de la volonté actuelle des autorités palestiniennes. C’est cette affirmation claire de volonté qui, aujourd’hui, manque à l’appel. Au-delà de l’application stricto sensu de sa compétence, le succès de la CPI repose d’abord et avant tout sur la coopération des États, comme en témoignent les difficultés récemment rencontrées dans l’affaire Kenyatta.

L’avenir de  l’accession de la Palestine à la CPI

Les démarches récentes des officiels palestiniens laissent entendre que la Palestine évalue toujours et encore l’option de la CPI. À témoin, le 5 août dernier, le ministre des Affaires étrangères de la Palestine, lors d’une rencontre officielle avec la Procureure, « a demandé des éclaircissements concernant les différents mécanismes permettant à un État d'accepter la compétence de la CPI et, de manière plus générale, sur le cadre juridique du Statut de Rome. » Dans cette perspective, l'Autorité palestinienne et le Hamas se seraient récemment entendus pour reconnaître la compétence de la CPI. Pourtant, un engagement officiel et définitif tarde à venir. La Palestine étudie les avantages et les inconvénients de ses options,  consciente que la compétence de la CPI sur la situation israélo-palestinienne en sa totalité annonce immanquablement d’autres débats d’envergure.

En effet, il est fort à parier qu’Israël s’opposera fermement à toute enquête et procédure contre ses ressortissants, n’ayant pas elle-même ratifié le Statut. Sur ce point Oded Friedmann écrit :

[T]he objection to the ICC’s jurisdiction over nationals of non-States Parties, as a result of its territorial jurisdiction Art 12(2)(a) Rome-Statute, [...] claimed that such jurisdiction would conflict irreconcilably with fundamental principle of international treaty law, whereby only states parties to a treaty (and their respective nationals) can be bound by its terms.[3]  

En s’adressant à la CPI, la Palestine prend le risque de voir ses démarches se solder par une enquête et des poursuites concentrées uniquement contre des Palestiniens.

Par ailleurs, pour contrer une intervention de la CPI, Israël cherchera immanquablement à démontrer, en vertu de l’article 17 du Statut de Rome, qu’il a la volonté et la capacité de mener des poursuites et des enquêtes, et même que celles-ci ont déjà cours. Notons toutefois qu’à ce jour, les démonstrations d’Israël en la matière sont peu convaincantes, comme en témoignent sa feuille de route et le rapport de Yesh Din, soulignant les failles déjà identifiées par le passé par le rapport Goldstone et, dans une moindre mesure, dans le rapport Turkel. Parmi elles, on retrouve le manque d’indépendance du Procureur général militaire, l’incompétence des enquêteurs, le défaut des enquêteurs à se déplacer pour aller enquêter, les délais dus aux lourdes procédures retardant le début des enquêtes, etc.

La CPI, une voie vers la paix par la lutte contre l’impunité

Finalement, on ne peut ignorer les obstacles politiques qui se dressent déjà entre la Palestine et la CPI. Les États-Unis, Israël et l’Union européenne s’opposent fermement à tout recours à la CPI, invoquant notamment l’interruption du processus de paix et des discussions entre les deux États. Si cette crainte est légitime à court terme, une enquête et la condamnation des criminels, pourvu qu’elles aient lieu dans les deux camps, ne pourront que favoriser la paix à long terme, ne serait-ce que par l’effet dissuasif que peut avoir l’appréhension de condamnations sur la conduite des dirigeants. Navi Pillay résume bien la contribution qu’aurait la justice au processus de paix au Moyen–Orient, alors que les négociations strictement politiques ont jusqu’à ce jour toujours échoué :

Europe should not be concerned that I.C.C. accession might obstruct peace talks. On the contrary, it is exactly what is needed to build trust and encourage cooperation. For the last few decades there has been no notable progress in the peace talks, precisely because of the lack of an accountability mechanism. Repeated violations of international humanitarian law have gone unpunished, leading to a breakdown of trust and a refusal to negotiate in good faith.

Actuellement, le gouvernement palestinien semble mettre à exécution un plan politique retardant au maximum le recours à la CPI mais l'utilisant sans hésitation pour faire pression. Ce faisant, il envoie un message ambigu quant à sa volonté de lutter contre l’impunité. À ce sujet, nous ne pouvons qu’abonder dans le sens de Tony Cadman qui écrivait tout récemment :

[…] one cannot, and should not, waive the rule of law in front of a menacing foe as a stick and carrot. One should not choose a political solution at the expense of justice.  It has been said before but change, real change, comes from a position of strength, not of weakness.  The Palestinian Authority must recognise that its position of strength is ratifying the Rome Statute of the ICC and bringing the perpetrators to justice – not threatening its ratification for a greater political solution, however noble that cause may be.

La balle est aujourd'hui dans le camp de la Palestine puisque, d’un point de vue juridique, plus rien ne fait obstacle à son adhésion au Statut de Rome. Pour l’instant elle atermoie, hésitante entre les avantages et les conséquences négatives potentielles d’un tel engagement.

Certes, la compétence de la CPI demeure l’objet de discorde en ce qui a trait aux États non-membres et à leurs ressortissants, mais cette question sensible fera un jour ou l’autre l’objet d’un litige. La saisine de la CPI à propos du conflit israélo-palestinien est pour elle une belle opportunité d’obtenir enfin des réponses quant au degré réel d’universalité que les États auront su lui conférer, par le biais du Statut de Rome. Cependant, un échec, même dû au manque de coopération de la Palestine, risquerait d’entraîner la CPI vers son déclin.

Seul l’avenir nous éclairera sur la façon dont la CPI disposera d’une nouvelle demande de la Palestine. Qui sait, novembre marquera peut-être le début d’une nouvelle ère dans la question de l’accession de la Palestine à la CPI.

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Ce billet ne lie que le(s) personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.

 


[1] Max Planck Encyclopedia of Public International Law, vol. 10,  New York, Oxford University Press, mis à jour en 2010 au titre « State Recognition »  à la p 342.

[2] Max Planck Encyclopedia of Public International Law, volume 10, New York, Oxford University Press, 2010 à la p 342.

[3] Oded Friedmann, The Possibility of the ICJ and the ICC Taking Action in the Wake of Israels Operation Cast Lead” in the Gaza Strip - A Jurisdiction and Admissibility Analysis, Frankfurt, PL Academic Research, 2013, à la p 102 

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