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« It’s Pictet Time! » : Sortir le droit des livres et diffuser le droit international humanitaire. Un regard sur le Concours Jean-Pictet

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Clémence Bouchart

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29 Novembre 2019

« Les Hautes Parties contractantes s'engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention en toutes circonstances »

 

Au titre de l’article 1 commun aux quatre Conventions de Genève, les États ont l’obligation de respecter et de faire respecter, en toute circonstances, les dispositions de ces Conventions. Adoptées en 1949, elles ont été complétées en 1977 par deux Protocoles additionnels et constituent, ensemble, les principales sources conventionnelles du droit international humanitaire (ci-après DIH). Ces textes contiennent ainsi les règles essentielles permettant d’encadrer la conduite de la guerre et de limiter la souffrance humaine en temps de conflit armé.

Les dispositions des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels sont interprétées notamment à travers les commentaires du Comité international de la Croix-Rouge (ci-après CICR). Parmi ces commentaires, celui de l’article 1 commun rappelle deux principes essentiels aux Hautes Parties contractantes. D’une part, les États ainsi que leurs forces armées, les personnes ou groupes agissant en leur nom, et leurs populations, doivent respecter les Conventions de Genève. D’autre part, ils doivent s’engager à les faire respecter par les autres États parties et les parties non étatiques à un conflit armé.

Cependant, pour être respecté, le DIH doit être connu et ce, tant par les forces armées que par la population en général. C’est pourquoi les États parties ont pour obligation de diffuser, le plus largement possible et en tout temps, les dispositions des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels. En effet, bien que le DIH soit la branche du droit international régissant la conduite des conflits armés, certaines de ses dispositions sont néanmoins également applicables en temps de paix. C’est le cas de l’obligation de diffusion dont l’application en temps de guerre uniquement aurait pour conséquence une méconnaissance, voire une ignorance des règles au début du conflit, ce qui n’est en rien souhaitable.

Tant les quatre Conventions de Genève (art. 47 de la Ière Convention, art. 48 de la IIème Convention, art. 127 de la IIIème Convention et art. 144 de la IVème Convention) que leurs trois Protocoles additionnels (art. 83 du Protocole additionnel I, art. 19 du Protocole additionnel II et art. 7 du Protocole additionnel III) rappellent l’obligation, pour les États parties, de diffuser les dispositions contenues dans ces instruments. Pour ce qui est des forces armées, les Hautes Parties contractantes doivent en particulier incorporer l’étude de ces dispositions dans les programmes d’instruction militaire. Concernant la population civile, les Hautes Parties contractantes s’engagent, si possible, à intégrer l’étude des Conventions dans leurs programmes d’enseignement public, de telle manière que les principes en soient connus par une grande partie de la population. Enfin, cette obligation de diffusion a également acquis une valeur coutumière. Le CICR a en effet mis en lumière l’existence de ces règles dans son étude sur le droit international humanitaire coutumier (règles 142 et 143).

Pour autant, si de nombreuses règles insistent sur cette obligation de diffusion, aucune ne précise comment la satisfaire et c’est aux États que revient, par conséquent, la responsabilité de déterminer quels sont les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir.

Etienne Kuster rappelle que de nombreux acteurs peuvent contribuer à diffuser le DIH : les écoles, les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, le CICR, la Fédération internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, mais aussi les médias, les organisations de la société civile ou encore des personnes agissant à titre privé. Tout en prenant en compte l’importance de ces différents acteurs, il met néanmoins en avant le rôle singulier que tiennent les universités en matière de diffusion du DIH. À ce sujet, il écrit :

First and foremost, due to the nature of ihl as a field of public international law, universities are probably best placed to teach it. Indeed, the role of universities is generally identified as pursuing academic excellence in teaching, learning, and researching various scientific fields, and to empowering generations of students to make a positive difference in the world.

Au sein du milieu académique mais à distance des bancs universitaires, agissant en quelque sorte comme un pont entre la théorie et la pratique, se trouve le Concours de DIH Jean-Pictet. Créé en 1989, il représente pour les étudiant.e.s une opportunité extraordinaire d’apprendre le DIH autrement : en tant qu’acteur.rice et non comme simple spectateur.rice.

Le Concours Jean-Pictet ou la manière de diffuser différemment le DIH

La joie des équipes sélectionnées pour les demi-finales de l'édition 2019. Mais le Pictet n'est pas seulement un lieu de concours, c'est aussi un lieu de partage, de rencontres, et d'apprentissage.

La joie des équipes sélectionnées pour les demi-finales de l'édition 2019. Mais le Pictet ce n'est pas seulement un lieu de concours, c'est aussi un lieu de partage, de rencontres, et d'apprentissage.

Le Concours Jean-Pictet, organisé dans un lieu différent chaque année, oppose des équipes composées de trois étudiant.e.s (souvent en droit mais pas uniquement) venues du monde entier. Le Concours se déroule sur une semaine durant laquelle ces équipes se retrouvent plongées, corps et âme, dans un conflit armé fictif dans le cadre duquel elles sont amenées à jouer de multiples rôles. Imaginez juste un instant… Qui n’a jamais rêvé d’avoir, dans une même semaine, l’opportunité de se mettre dans la peau d’un.e avocat.e, d’un.e représentant.e d’une O.N.G, de s’imaginer membre d’un groupe armé, et d’avoir la responsabilité de représenter le Chef du Cabinet d’un Premier ministre ? C’est ce qu’ont la chance de vivre tou.te.s les participant.e.s qui, parfois sans même s’en rendre compte, apprennent au fil des simulations à appréhender le DIH dans toutes ses réalités.

Les équipes sont évaluées par un jury composé d’expert.e.s dans le domaine des conflits armés, et elles bénéficient, durant la compétition, de l’encadrement d’un tuteur ou d’une tutrice dont le rôle est de les conseiller sans aborder, sur le fond, les questions juridiques.

Apprendre, concourir et rencontrer, voilà les trois objectifs du Concours. Ces mots, qui résonneront toujours d’une manière particulière dans la tête des Pictéistes, expriment aussi, plus largement, l’engagement et le rôle du Pictet dans la diffusion du DIH.

Apprendre parce que si, dans les faits, le Concours ne se déroule que sur une semaine, il implique un engagement de plusieurs mois, un apprentissage sur la durée pour être en mesure de maîtriser au mieux le droit applicable dans les conflits armés, ses nuances et ses parts d’ombre. En effet, chaque simulation effectuée durant la compétition, permet de « toucher » concrètement l’application du DIH ainsi que l’interprétation qui en est faite par les multiples acteurs des conflits armés. Le Concours permet aussi aux équipes de voir les limites de cette branche du droit, d’apprendre à négocier et, par exemple, à composer avec quelques grands principes, afin de pouvoir acheminer de l’aide humanitaire jusqu’à des civils aux mains d’un groupe armé.

En apprenant, chaque participant.e devient alors, à son tour, un.e acteur.rice de la diffusion de ce droit. Il n’est d’ailleurs pas si rare que des ami.e.s proches ou des membres de la famille des candidat.e.s finissent aussi par connaître, au moins dans les grandes lignes, le DIH.

Concourir, dans la mesure où chaque épreuve donne envie de se surpasser, de donner le meilleur de soi-même, individuellement mais également en tant qu’équipe. Le Pictet étant tout sauf une compétition individuelle, il se vit en équipe et entre équipes, ce qui implique nécessairement une manière particulière de concourir. Le but est alors de miser sur les forces des un.e.s pour atténuer les faiblesses des autres, de bien se préparer, de se parler et, quand cela est possible, de briller lors des simulations. Néanmoins, jamais la compétition ne doit prendre le pas sur le respect, l’écoute des autres équipes, du jury, ou encore sur la coopération, ceci afin de rendre agréable les jeux de rôle et l’expérience du Concours.

Rencontrer, car c’est un verbe qui prend évidemment tout son sens lors du Concours. C’est ainsi l’occasion de partager de grands moments de droit, d’émotion, de stress et de bonheur avec des équipes, des juré.e.s et des tuteur.rice.s venant des quatre coins du monde. Le Pictet, c’est parfois l’occasion unique de parler à un.e professionnel.le ou praticien.ne du droit des conflits armés, qui va allumer une petite lumière qui en poussera, qui sait, certain.e.s à dédier leur carrière à la défense du DIH. La richesse des échanges culturels, le partage d’expérience, ainsi que les débats juridiques pendant cette semaine de compétition participent aussi à la transmission de ce corpus juridique régissant la guerre.

Pour toutes ces raisons, le Concours Pictet apparaît donc comme un outil fantastique de diffusion du DIH. À cet égard, bon nombre d’anciens Pictéistes deviendront, sans doute, de futur.e.s diplomates, juges, avocat.e.s, militaires, ministres, travailleur.euse.s humanitaires, conseiller.ère.s ou encore député.e.s. Sans le moindre doute, leur participation au Concours jouera un rôle dans la manière dont ils et elles prendront certaines décisions et conduiront leur carrière[1]. S’il fallait encore s’en convaincre, voilà un argument soulignant, une nouvelle fois, la portée du Pictet en matière de diffusion du DIH.

Un regard de participante puis de coach

En ce qui concerne mon expérience personnelle, je ne suis encore qu’une toute jeune Pictéiste. Avec Océane Touillon et Thomas Roos, nous avons ainsi participé à la 32e édition du Concours à Obernai, en France, du 30 mars au 6 avril dernier 2019.

L'équipe de l'Université Laval en pleine réflexion lors de l'édition 2019. De gauche à droite : Thomas Roos, Clémence Bouchart, et Océane Touillon.

2019, c’est aussi l’année où l’engagement du Pictet envers la diffusion du DIH prit encore davantage de sens. Auparavant, une sélection, parfois rigoureuse, était organisée pour participer au Pictet, limitant le nombre d’équipes pouvant bénéficier des apprentissages et des joies de ce concours. Lors de la 31ème édition, en intégralité anglophone, et de la 32ème édition, à moitié anglophone et à moitié francophone, cet aspect a grandement évolué. En effet le Comité pour le Concours Jean-Pictet (CCJP), après avoir constaté que cette sélection nuisait grandement aux équipes qui n’étaient pas soutenues au sein de leur Université, a décidé d’ouvrir plus largement le Concours. C’est pourquoi se sont déroulées deux éditions en 2019 qui ont permis, au total, la participation de 96 équipes.

Si ce tournant permet, d’une part, une plus grande égalité entre les équipes, il se veut également garant d’un objectif beaucoup plus large de diffusion du DIH. Ouvrir le Concours à plus d’étudiant.e.s assure ainsi que le droit des conflits armés sera davantage enseigné, et notamment à des équipes qui, si elles n’ont pas un soutien universitaire suffisant, proviennent pourtant de pays où il est essentiel de transmettre les règles et principes du droit des conflits armés.

Transmission. C’est ce mot qui me permet ici de faire un lien avec ma propre expérience du Pictet, à la fois comme participante, puis comme coach. Durant les mois qui ont précédé le Concours puis durant cette semaine si intense, je pense avoir pris conscience de l’importance de ce terme qui va de pair avec diffusion. Le Pictet m’a beaucoup transmis, que ce soit avant, pendant ou après celui-ci. J’ai eu la chance, moi aussi, d’apprendre, de concourir, de rencontrer, j’en suis ressortie grandie et prête, à mon tour, à partager et à transmettre.

À présent, j’ai l’honneur de coacher, avec mon ancien coéquipier Thomas Roos, l’équipe qui représentera l’Université Laval lors de l’édition 2020 du Concours Pictet qui se déroulera, en février, à Denpasar (Indonésie). Devenir coach, c’est avoir la chance, quelques mois après avoir vécu sa propre aventure, de pouvoir à son tour participer à la diffusion du DIH, du Pictet, et de faire en sorte que son équipe soit fin prête pour cette belle expérience.

Le Pictet donne ainsi le goût de partager son expérience, le savoir qui en découle. Il donne l’envie d'encourager d’autres étudiant.e.s à se lancer dans la compétition, et de s’investir d’autant plus dans la défense des droits. À titre personnel, il m’a également donné l’envie d’entamer d’autres projets participant à la diffusion du DIH, tels que le développement d’un jeu vidéo avec la Croix-Rouge française. En effet, si le Pictet constitue un moyen ludique de diffuser le DIH, il n’est pas le seul et d’autres formats peuvent s’avérer très pertinents pour vulgariser ce corpus juridique et le rendre ainsi le plus accessible possible.

Plus généralement, ce Concours permet de poser la première pierre d’un édifice voué à grandir. Il donne le goût d’enseigner, de partager ses connaissances, de créer d’autres compétitions similaires, de participer à la préparation des futures équipes, ou encore d’en créer là où il n’en existe pas.

Conclusion

L’un des plus grands défis dans les conflits armés contemporains réside dans le non-respect du DIH, parfois violé car mal connu. Sans prétendre que cela soit suffisant, il est certain que l’enseignement et la diffusion de ses règles peuvent contribuer à ce qu’il soit davantage respecté et mieux appliqué. C’est ce à quoi contribue le Concours Jean-Pictet, qui aide à transmettre les connaissances, le courage, la confiance et surtout la volonté de participer quotidiennement à la diffusion du droit des conflits armés et d’encourager les autres à faire de même.


Ce billet ne lie que la ou les personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale et les droits fondamentaux, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.


La publication de ce billet est en partie financée par Osons le DIH! et le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.

                                                                                                           

                              

 

[1] Sur ce sujet, voir notamment : Michel Deyra et Christophe Lanord, « Quelques aspects de l’impact du Concours Jean-Pictet », dans Julia Grignon, dir, Hommage à Jean Pictet par le Concours de droit international humanitaire Jean-Pictet, Zürich et Cowansville (Qc), Schulthess et Yvon Blais, 2016.

 

Évènements et symposium : 

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