La question de la justice pour les victimes est au cœur de plusieurs discussions de la 12e session de l’Assemblée des États Parties (AÉP) au Statut de Rome. En plus de la séance plénière entière consacrée au sujet par l’AÉP, certains événements parallèles en lien avec ce dernier ont été organisés par des organisations non gouvernementales. Un des enjeux principaux de la justice pour les victimes est le processus de demande de participation aux procédures de la Cour pénale internationale (CPI) qui doit être amélioré pour le rendre plus effectif, efficace et durable. Sur ce sujet, Avocats Sans Frontières (ASF) et REDRESS présentaient une table ronde intitulée « Effective and meaningful participation of victims before the ICC: the link between application, participation and representation ».
À cet événement, ASF présentait deux rapports, respectivement intitulés « Modes of Participation and Legal Representation » et « Victims’ Consultation on the Grouping for their Legal Representation in the Bosco Ntaganda case ». Deux des auteurs de ces rapports, Mariana Pena et Jean-Philippe Kot d’ASF étaient présents. Fergal Gaynor (représentant légal des victimes dans l’affaire Kenyatta), Norbert Wühler (président du groupe d’experts indépendant sur la participation des victimes) et Fiona McKay (présidente de la Section de la participation des victimes et des réparations) ajoutaient des perspectives variées à la question de la participation des victimes.
Chaque expert a fait état des difficultés concrètes vécues par les victimes des situations examinées par la CPI durant le processus de demande de participation aux procédures ainsi que certaines stratégies prometteuses. Tel qu’indiqué par Norbert Wühler, les situations devant la CPI impliquent généralement un grand nombre de victimes, ce qui peut causer problème. Par exemple, Fergal Gaynor est le représentant légal de 20 000 victimes pour la seule affaire Kenyatta.
Quatre systèmes de gestion des demandes des victimes ont été testés dans les différentes affaires de la CPI. Dans le premier système, classique, chaque victime remplit un formulaire standard et la décision quant à la participation de chaque victime est prise par une Chambre de la CPI. Dans le second système, simplifié, les victimes remplissent un formulaire d’une page. Dans le troisième système, partiellement collectif, une compréhension commune des faits est soumise en plus d’un court formulaire individuel. Enfin, dans le quatrième système, le plus récent et mis en œuvre dans l’affaire Kenyatta, le représentant légal commun des victimes est celui qui fait la détermination de quels individus se qualifient comme victime. Comme le souligne Fiona McKay, des améliorations peuvent encore être apportées, mais l’expérience des divers systèmes a démontré que des approches collectives, telle une gestion collective de demandes qui resteraient individuelles, pourraient être bénéfiques pour simplifier et rendre plus efficace le processus de demande.
Fergal Gaynor a également exposé certaines difficultés rencontrées par les représentants légaux des victimes. Puisque ses clients sont au nombre de 20 000, il doit voyager à travers le Kenya pour pouvoir les rencontrer tous et les informer de leurs droits, ce qui est généralement fait par des rencontres de groupe. Il ajoute qu’il ne serait pas suffisant de rencontrer un nombre représentatif de victimes pour les faire participer. Au contraire, chaque victime a un droit égal de participer et de rencontrer en personne le représentant légal commun. Cette participation active redonne aux victimes du pouvoir et de la dignité, surtout si le processus ne place pas de fardeau indu sur leurs épaules.
Jean-Philippe Kot note que le processus doit être amélioré : pour être durable et efficace, le processus doit pouvoir gérer le grand nombre de demandes et, lorsque des groupes de victimes sont créés, il est important que ces groupes ne soient pas artificiels et que les victimes ne soient pas mises avec un groupe auquel elles ne s’identifient pas. Norbert Wühler note que la standardisation est très importante, mais qu’il reste tout aussi important de donner aux victimes le sentiment qu’elles sont entendues et que leurs situations particulières sont prises en considération. Cela peut tout de même être fait par un processus standard et, tel que souligné par Fiona McKay, une implication plus grande du Registraire de la CPI serait bénéfique.
À ces propositions variées, Mariana Pena ajoute un fait important : les personnes les plus affectées par le processus de demande de participation n’ont pas été consultées jusqu’à maintenant par la CPI et l’AÉP pour améliorer le processus. Toutefois, elle note que l’Université Berkeley et la Section de la participation des victimes et des réparations conduiront de façon conjointe une étude dans la prochaine année qui permettra d’obtenir le point de vue des victimes sur le processus et les améliorations à y faire.
En conclusion, l’ambassadrice Tiina Intelmann, présidente de l’AÉP, note que travailler en droit pénal international cause souvent plusieurs doutes : tout le monde se demande pourquoi le faire et si le droit pénal international fonctionne vraiment ? Lorsque ces doutes surgissent, elle affirme que ces gens se souviennent des victimes, des traumatismes qu’elles ont vécus et de l’importance pour elles de participer aux procédures. Si les victimes qui participent reçoivent d’une certaine façon un soulagement mental ou émotionnel et que leurs souffrances sont atténuées, alors tout le travail fait par la CPI en vaut la peine.