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DIH et popculture : le droit des conflits armés et le film « Joyeux Noël »

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Steve Tiwa Fomekong

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24 Décembre 2021

Imaginez-vous, entouré de neige, il fait froid, vous êtes emmitouflé dans votre manteaux et vous regardez les flocons tomber … C’est bientôt Noël, vous pensez à votre famille, au repas que vous allez manger, aux cadeaux que vous allez recevoir … Quand tout d’un coup, le bruit d’un obus vous tire de ce rêve.

Non, la réalité, c’est que vous êtes dans une tranchée. Nous sommes en décembre 1914, la guerre fait rage entre la France et l’Allemagne, elle est passée d’une guerre de mouvement à une guerre de position et les soldats se sont enterrés dans les tranchées où les conditions de vie sont désastreuses. Ces conditions sont encore plus dures en hiver, lorsque la boue et le froid se mêlent aux rats et aux traumatismes, compliquant encore un peu plus la vie des combattants. Cependant, même dans les moments les plus violents de l’histoire, il reste toujours une étincelle d’humanité. Le film « Joyeux Noël », inspiré d’une histoire vraie, se fait porte étendard du principe d’humanité, fondateur du droit international humanitaire (DIH), notamment en décrivant au début du film la façon dont la Croix-Rouge prend soin des blessés, ou comment les parties s’entendent pour s’occuper de leurs morts, jusqu’à atteindre un point culminant lors de la trêve de Noël où Français et Allemands ont déposé momentanément les armes pour fêter Noël ensemble.

Dans ce billet, dont la version Youtube se trouve ici, nous vous proposons de retracer ces évènements décrits dans « Joyeux Noël » et de vous expliquer en quoi le droit international humanitaire n’est pas seulement le droit de la guerre, mais aussi un droit humaniste.

 

I- Existait-il un droit international humanitaire avant les Conventions de Genève de 1949 ?

En préambule il convient de préciser que, dans le cadre de ce film, les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels de 1977, que nous vous avons présenté dans nos précédents podcasts, ne sont pas applicables dans ce conflit qui s’est déroulé de 1914 à 1918, avant leur rédaction. Cependant, les principes liés à la conduite de la guerre qui s’appliquaient dans le cadre de la Première Guerre mondiale restent valable au 21ème siècle. En effet, il existait déjà des textes de DIH avant 1914, qui étaient les aînés des Conventions de Genève contemporaines, et qui ont posé les principes et les règles régissant les conflits armés qui existent encore aujourd’hui. Ces textes sont, notamment, la Convention de Genève de 1864 pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne, la Convention de 1906 pour l’amélioration du sort des blessés et malades dans les armées en campagne, et les Règlements de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre de 1899 et 1907. Il existait donc avant 1949 un DIH semblable en de nombreux points au DIH contemporain, applicable durant la Première Guerre mondiale et les événements de « Joyeux Noël », qui a servi de base à la rédaction des quatre Conventions de Genève de 1949.

Le DIH a été conçu sur la philosophie d’un équilibre entre la nécessité militaire et les principes d’humanité, deux notions en apparence opposées. La Première Guerre mondiale, qui est au cœur du film, a souvent été décrite comme une « boucherie », pourtant, elle a aussi été témoin de nombreux îlots d’humanité faisant honneur au principe d’humanité. Ce principe existe depuis l’aube des guerres et remonte jusqu’aux premiers textes de DIH, parfois insoupçonnés des étudiant-e-s, à l’image de « l’art de la guerre » de Sun Tzu : « Par autorité j’entends les qualités de sagesse, d’équité, d’humanité, de courage et de sévérité du général » (à la p. 8). Ce principe justifia notamment la Déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868, qui fut le premier texte à interdire l’usage de certaines armes causant des souffrances inutiles. Ce principe d’humanité prône que, dans tous les cas et toutes les situations, des solutions doivent être recherchées pour soulager les souffrances humaines. Il s’agit d’un guide dont découlent toutes les provisions du DIH.

II- Les représentations du principe d’humanité dans « Joyeux Noël » :

A-Le secours aux blessés et malades

Le film « Joyeux Noël » est le reflet de cette conception humaniste de la guerre à bien des égards. Notamment, le film dépeint très clairement les interventions de la Croix-Rouge sur le champ de bataille. Ces interventions résultent de l’obligation dépeinte à l’époque de la Convention de Genève de 1906 sur les blessés et les malades, qui exige d’évacuer et de soigner les blessés, y compris lorsqu'il s’agit de soldats ennemis (arts 1 et 3). Dans le cadre de « Joyeux Noël », cela voudrait dire que le personnel médical français et écossais avait le devoir de s’occuper à la fois des blessés alliés, mais également des blessés allemands. Afin de s’assurer que le personnel puisse mener à bien leur mission médicale, ils sont respectés et protégés contre les attaques (art. 9), à condition qu’ils ne commettent pas d’actes nuisibles envers l’ennemi (art. 7). Donc, lorsque le film nous montre du personnel médical sous les balles de l’ennemi, il est important de souligner que les attaques envers ce personnel sont interdites par le droit des conflits armés, y compris à l’époque de la Première Guerre mondiale. Ces attaques sont d’autant plus injustifiables que, comme nous le montre ce film, le personnel médical a fait l’effort de se distinguer en portant de façon visible la croix rouge sur fond blanc, comme l’exige l’article 20 de la Convention de Genève de 1906, et qui est une obligation que nous retrouvons encore aujourd’hui (voir arts. 38-39 de la Première Convention de Genève de 1949). En période de conflit armé, le signe distinctif de la Croix-Rouge sur fond blanc est la manifestation visible de la protection que le DIH accorde aux services, équipements et bâtiments sanitaires des forces armées, ainsi qu’à certaines organisations humanitaires qui travaillent aux côtés des militaires pour alléger les souffrances des blessés, des prisonniers de guerre et des civils touchés par le conflit.

B- La distinction entre civils et combattants

Dans un second temps, du principe d’humanité découle ce que nous connaissons aujourd’hui comme le principe de distinction, selon lequel il est interdit d’attaquer volontairement des personnes ou des biens civils (voir notamment règles 1 et 7 de DIH coutumier). À l’époque de la Première Guerre mondiale, ce principe pouvait se retrouver de façon embryonnaire dans des textes selon lesquels le but de la guerre était d’affaiblir les forces militaires de l’ennemi (Déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868), ce qui exclut implicitement les civils des cibles licites. On retrouve aussi ce principe dans le Règlement de La Haye de 1907 qui interdit « d’attaquer ou de bombarder, par quelque moyen que ce soit, des villes, villages, habitations ou bâtiments qui ne sont pas défendus » (art. 25). Ce principe est un parfait symbole de cet équilibre entre nécessité militaire et humanité, entre ce qui apporte un avantage militaire et ce qui doit être préservé au nom de notre humanité. Les civils n’ont, bien souvent, rien à voir avec le conflit. À ce titre, les blesser ou les mettre hors d’état de nuire n’apporte aucun avantage militaire. C’est la raison pour laquelle ils sont aujourd’hui protégés explicitement contre les attaques en DIH, que ce soit à travers les Protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1949 (art. 48 du PAI pour les conflits armés internationaux ; art. 13 du PAII pour les conflits armés non internationaux) ou dans les règles de DIH coutumier (règles 1 et 7 de DIH coutumier). Dans le film « Joyeux Noël », on voit que cette notion est abordée, notamment lorsque le Général français informe son lieutenant que sa famille, loin du front, est en sécurité car les « Allemands sont corrects avec les civils » en territoire occupé. À travers ces termes, le Général sous-entend que les attaques menées par les Allemands, notamment les bombardements, sont orientées contre des cibles militaires et que des précautions ont été prises pour épargner les civils des effets de ces attaques. Il est important de préciser que les combats de la Première Guerre mondiale s’étaient globalement tenus loin des populations civiles, qui avaient été relativement épargnées, au contraire de la Seconde Guerre mondiale et des conflits armés contemporains, où les combats en milieu urbain sont devenus un enjeu majeur (voir notamment rapport de 2019 du CICR à ce sujet, aux pp. 16-26, et le résumé de ce rapport offert par Osons le DIH sur Quid Justitiae).

C- Le respect des morts

Similairement, c’est au nom du principe d’humanité que le droit encadre la pratique des belligérants qui consiste à pouvoir passer des accords entre eux pour cesser momentanément les combats. La pratique collectée montre qu’une trêve peut être instaurée pour plusieurs raisons, notamment une qui concerne le traitement des morts (voir pratique sur la règle 66 de DIH coutumier). Une telle pratique permet de rappeler que le principe d’humanité ne cesse pas après la mort. La dignité des morts est un sujet de préoccupation du DIH qui se retrouvait déjà à l’époque de la Première Guerre mondiale. Notamment, la Convention de Genève de 1906 à son article 3 précise que même dans la mort, les soldats doivent être protégés contre le vol et les mauvais traitements. Dans le film, on voit qu’un éloge funèbre est prononcé par le prêtre écossais (allié des Français) sur la tombe des défunts de tous les camps, y compris de la partie adverse. Cette scène est une bonne représentation des règles de DIH selon lesquelles les blessés doivent être traités sans distinction de nationalité (art. 1 de la Convention de Genève de 1906), qui peut être étendu au personnel religieux et au traitement des morts (art. 3 de la Convention de Genève de 1906). Le personnel religieux (qualifié d’« aumôniers » à l’époque), à l’image du personnel médical, est également protégé contre les attaques (art. 1 de la Convention de Genève de 1906). Si le personnel médical soigne les corps, le personnel religieux soigne les maux de l’âme. On peut également entendre Sörensen, une chanteuse d’opéra allemande qui a réussi à obtenir un laisser passer pour retrouver dans les tranchées son compagnon envoyé à la guerre, affirmer que les familles seront informées du décès de leurs proches. Il s’agit là d’une bonne représentation du respect de l’article 4 de la Convention de 1906, selon lequel « [c]haque belligérant enverra, dès qu'il sera possible, aux autorités de leurs pays ou de leur armée les marques ou pièces militaires d’identité trouvées sur les morts et l’état nominatif des blessés ou malades recueillis par lui ».

D- La trêve de Noël

Dans le film, l’humanité a atteint son point culminant lorsque les lieutenants de chaque armée se rencontrent pour organiser un cessez-le-feu la veille de Noël, le 24 décembre 1914. Une bouteille de champagne est ouverte pour conclure cette trêve. Ici, il n’était pas question de cesser les combats pour d’autres raisons que la célébration des fêtes. Il faut noter que ces trêves ne sont pas une obligation en droit des conflits armés. Comme le film le dépeint, les cessez-le-feu ou les trêves sont souvent spontanés et sporadiques. Rien n’oblige les parties à baisser les armes pour les fêtes de fin d’année. Elles sont juste le témoignage d'une profonde humanité chez les belligérants derrière leurs uniformes de guerre. À cet égard, ces mesures visant à permettre aux parties à un conflit de faire une trêve ont depuis été intégrées explicitement dans le DIH moderne (règle 66 de DIH coutumier). Les faits réels repris dans ce film, visant à interrompre les hostilités pour Noël, ont par ailleurs contribué à la bonne pratique qui a servi à forger la règle 66 de DIH coutumier qui fait référence aux ententes entre parties à un conflit. De telles ententes ou accords bilatéraux ne sont désormais pas inusuels, et des organismes comme la Croix-Rouge aident parfois même à les négocier. Récemment, une telle situation a pu être observée aux Philippines, où le gouvernement a proposé une trêve de Noël au groupe rebelle qu’il combattait.

Conclusion

Ainsi, le champagne, le vin, le chocolat et les parties de foot partagés entre les soldats dans « Joyeux Noël », de même que le joli chat roux passant d’une tranchée à l’autre qui a pu faire sourire et attendrir plus d’une personne, représentent une autre facette des conflits armés, où l’humanité remplace, le temps d'un instant, la nécessité militaire. Concernant l’utilisation des animaux, il est arrivé à plusieurs reprises dans la grande histoire de la guerre que les chats soient utilisés pour chasser les rats des lieux où vivent les soldats, leur permettant parfois même d’agir comme baume sur l’âme des combattants aguerris, comme compagnons offrant un soutien moral et, pourquoi pas, comme un étendard d’humanité.


Ce billet ne lie que la ou les personne(s) l’ayant écrit. Il ne peut entraîner la responsabilité de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, de Osons le DIH!, de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale et les droits fondamentaux, de la Faculté de droit, de l’Université Laval et de leur personnel respectif, ni des personnes qui l’ont révisé et édité. Il ne s’agit pas d’avis ou de conseil juridiques.


La publication de ce billet est en partie financée par Osons le DIH! et le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.

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